Les Gazons du Qatar : entre prouesse technique et aberration écologique (2/2)

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Après avoir trouvé son gazon idéal pour la Coupe du Monde 2022, la Qatar a dû employer de grands moyens pour entretenir celui-ci au sein des stades. Entre chaleur, ensoleillement, irrigation, climatisation, le pays organisateur a réalisé de véritables prouesses techniques pour maintenir une bonne croissance du gazon avec en toile de fond un non-sens écologique toujours présent.

GIUSEPPE CACACE / AFP

Il y a eu la quête du gazon parfait, que nous avons détaillée dans un premier article. Puis il y a eu l’entretien de celui-ci au sein des différents stades de la compétition. Et si faire pousser du gazon au Qatar s’est avéré difficile, l’entretenir au sein d’infrastructures apportant elles-mêmes leur lot de problématiques a été un véritable casse-tête que le pays organisateur a su résoudre à coups de surenchères techniques.

 

Un substrat drainant de sable amendé

Les gazons des huit stades ont été plaqués sur un mélange de sable d’au moins 300mm, 50mm de couche intermédiaire et 100mm de gravier. Un substrat qui facilite et améliore le drainage et l’irrigation. Bien que le sable soit abondant au Qatar, celui-ci est trop fin et pas forcément adapté à la construction de terrains de football comme le précise Alan Ferguson dans Grounds Management. « Nous avons dû ajouter des amendements au sable pour lui permettre d’être efficace dans la croissance du gazon », confie le gestionnaire principal des terrains de la FIFA au magazine.

Une fois achevée l’installation des pelouses dans les stades, les équipes d’entretien ont dû faire face à de nouvelles problématiques, comme le manque de luminosité par exemple.

 

Platinum TE Paspalum 8 jours après placage. Source : Bede O’Connell
Platinum TE Paspalum 8 jours après placage. Source : Bede O’Connell

Le dilemme lumineux 

Pour se développer, le gazon a besoin de lumière. Et avec près de 3897 heures d’ensoleillement à l’année (d’après Climate-data), la lumière ne manque pas au Qatar. Pourtant, les organisateurs se sont retrouvés dans une posture assez paradoxale : celle de devoir utiliser des lampes de luminothérapie pour que les pelouses se développent. 

Une impasse qui s’explique par la forme même des stades. En effet, pour pouvoir bénéficier pleinement des effets de la climatisation pour abaisser la température dans les stades, il fallait que les stades aient une forme de bol, avec des structures très hautes et une très petite ouverture de toit afin de garder l’air à l’intérieur et limiter les pertes par le haut

Mais ériger des stades à des hauteurs avoisinant les 70-80 m, qui plus est avec une faible ouverture de toit, n’est pas sans conséquence pour le gazon. En effet, plus la structure est haute, plus l’ombre portée et grande, ce qui perturbe la croissance du gazon. Difficile dans ces conditions de faire pousser un gazon de saison chaude sans apporter de lumière artificielle. 

« La recherche a montré que le gazon aurait besoin d’une quantité importante de lumière pour croitre, trois fois plus qu’en Europe », indique Lee Collier, directeur technique de la STRI. Avant de poursuivre : « Quand vous prenez en compte que le temps moyen d’utilisation de rampes de luminothérapie au Royaume-Uni, en hiver, est de 12 heures par jour, vous pouvez imaginer les nombres théoriques que nos analyses de lumière nous ont donnés. » Afin de ne pas être trop dépendant de la luminothérapie alors que le pays est très ensoleillé, le Qatar a dû rééquilibrer la balance entre lumière artificielle et lumière naturelle.     

« Il y avait une grande volonté de voir ce qui pouvait être fait pour optimiser la conception du toit pour réduire les besoins en lumière artificielle et laisser entrer plus de lumière naturelle », ajoute Lee Collier. Quelques stades ont ainsi installé des panneaux transparents au niveau des toits pour laisser entrer davantage de lumière naturelle. Mais des doutes persistaient quant à leur efficacité, sans système de nettoyage, le pays connaissant de fréquentes tempêtes de sable. Plusieurs configurations de toits ont également été revues pour améliorer leur efficacité vis-à-vis de la lumière. 

Une subirrigation passive

L’un des principaux défis des organisateurs a concerné l’irrigation des pelouses. Arroser un gazon dans un climat désertique où les hautes températures sont courantes nécessite une véritable réflexion et le Qatar a opté pour une irrigation souterraine.

« Moins vous arrosez en surface, moins vous perdez d’eau par évaporation », précise Lee Collier. En irrigant de manière souterraine, les organisateurs comptent économiser au moins 40% d’eau. Deux systèmes ont alors été étudiés : un système à base de canalisation et un système utilisant une couche de membrane imperméable pour répandre l’eau. Le problème avec les tuyaux est que l’eau apportée s’écoule vers le bas. Le choix s’est donc dirigé vers l’irrigation passive avec la membrane. En outre, l’eau présente sur la couche de membrane (eau de drainage ou d’irrigation) va pouvoir alimenter la plante par l’action capillaire de celle-ci.

 

Subair Systems pour un contrôle total du sol

La subirrigation ne sera pas la seule action présente sous les pieds des joueurs. En effet, le Qatar a doté ses huit stades de la technologie SubAir (distribuée en Europe par Bernhard and Company) qui permet de surveiller et contrôler le sous-sol d’une surface de jeu afin de garantir un environnement propice et optimal à la croissance du gazon.

Situé sous-terre, le système SubAir permet de réguler le taux d’humidité, la chaleur et l’aération de la zone racinaire via un système de ventilation. Il comprend deux modes :

  • Le mode pression où l’air est poussé à travers le sol pour l’aérer et contrôler la température. 
  • Le mode vide qui permet d’accélérer l’évacuation d’humidité : l’eau et l’air sont aspirées à travers le gazon. Un séparateur permet à l’eau d’être évacuée via le système de drainage. 

Ce système peut être enclenché manuellement ou automatiquement grâce aux différentes sondes présentes sur le gazon. Le contrôle de l’humidité du sol est également un moyen d’éviter les maladies.

Le mode pression du système SubAir pour aérer le sol et contrôler la température.
Le mode vide du système SubAir pour évacuer l’humidité.
Le ventilateur du système SubAir du stade Al Thumama.

Des stades ventilés

Pour le bon développement de la plante, les équipes d’entretien doivent simuler un hiver dès le mois de septembre. « Les conditions météorologiques et le climat, ainsi que le niveau des critères de performance que nous nous sommes fixés, rendent extrêmement difficile le développement du produit dont nous avons besoin. Mais nous avons réussi », lançait Haitham Al Shareef, ingénieur civil soudanais qui travaille sur les terrains du Qatar depuis 2007, pour Reuters en février dernier. Pour rafraîchir les pelouses et imiter l’hiver alors que le mercure qatari grimpait, les jardiniers ont pu s’aider de la climatisation des stades et des buses soufflant de l’air frais aux bords des pelouses.

Les bouches de sortie des climatiseurs géants du Lusail Stadium.

Parmi les huit stades, sept sont climatisés. Une climatisation polémique que tente de justifier Saud Abdulaziz Abdul Ghani, qui a passé 13 ans à développer cette technologie. « Cette technologie est aussi durable que possible. Nous avons la meilleure isolation thermique, les meilleurs capteurs, afin d’utiliser la juste dose d’énergie dans chaque zone. Nous ne faisons pas d’excès », confie-t-il à l’AFP.

L’ingénieur explique notamment le fonctionnement de la climatisation au stade Al-Janoub, fortement inspirée de celle d’une voiture. L’infrastructure coupe-vent du stade, les bouches d’aération sous les fauteuils des spectateurs ainsi que les buses au bord du terrain permette la formation d’une bulle d’air fraiche de 21°C.

 

 

Exigences de la FIFA relatives aux terrains 

Selon les exigences de la FIFA, chaque terrain au Qatar doit :

  • Être composé de fibres synthétiques « stitched » pour garantir la stabilité 
  • Être complètement irrigué : 50 000 L d’eau de mer dessalée par jour en été, 10 000 en hiver
  • Avoir le nombre approprié de rampes de luminothérapie en fonction de l’ensoleillement du stade
  • Avoir un système d’aspiration/ventilation permettant de contrôler la température du sol afin de gérer les déluges de pluie potentielles à Doha en décembre
  • Avoir un équipement d’entretien des terrains complets
  • Être entretenue par un staff entraîné

 

 

Entretien quotidien et rénovation

« La FIFA savait que ce ne serait pas facile d’organiser une Coupe du Monde au Moyen-Orient. Nous avons toujours réussi à gérer les microclimats et à effectuer les travaux de rénovations en août/septembre (alors qu’ils sont plutôt réalisés en décembre dans cette région). Nous avons dû créer des environnements propices à la croissance du Ray-grass avec des températures pouvant atteindre 45°C. Nous ne pouvions le faire que par des moyens artificiels », indique Alan Ferguson, responsable de l’entretien des terrains pour la FIFA.

Lors de la compétition, les pelouses seront tondues quotidiennement à une hauteur de 20 mm avec des tondeuses hélicoïdales Dennis. « Grace aux bancs d’affutage présents dans chaque stade, nous allons pouvoir garder les tondeuses aiguisées et parfaitement réglées, en veillant à donner à l’herbe une coupe nette à chaque fois. Lorsque nous coupons l’herbe proprement, elle reste saine, guérit bien, risque moins de maladies et nécessite moins d’engrais et d’arrosage », explique Steve Wilson, directeur du développement commercial mondial de Bernhard Turf Technologies dans Turf Business.

 

Une banque de données créée grâce à des tests réguliers

Le responsable terrain de la FIFA ajoute que chaque terrain subit des tests quotidiens selon les normes internationales. Les résultats sont entrés dans un système de collecte de données. Cela permet d’avoir un suivi des performances de chaque terrain afin de s’assurer que les conditions de jeu restent optimales. « Nous récoltons les données de performance de chaque terrain depuis trois ans et nous avons une banque de données fantastique. Cela va aussi nous permettre de poser les bases pour les futurs terrains de la Coupe du Monde 2026 (organisée conjointement par le Mexique, le Canada et les Etats-Unis) », confie Alan Ferguson à Grounds Management. La tenue de la FIFA Arab Cup sur les terrains de Doha en 2021 (qui a fait office de répétition générale avant la Coupe du Monde), a notamment permis de récolter de la data sur les huit terrains mobilisés pour la compétition.

 

Quid de l’écologie ?

Par diverses prouesses techniques, le Qatar a relevé de nombreux défis. Climatiser des stades dans un pays au climat désertique pour garantir un environnement et une pelouse propices au jeu semblait en 2010, au moment de l’attribution de la compétition, quelque chose d’illusoire. Mais, une décennie plus tard, le contexte a changé, la crise écologique s’est nettement intensifiée et, s’il est possible de s’émerveiller des prouesses qataries, il est tout autant compréhensible de considérer la compétition comme un non-sens écologique réel (luminothérapie dans un pays ensoleillé, climatisation des stades, acheminement de semences par avions climatisés, prévisions de plus de 3,6 millions de tonnes de CO² produites selon la FIFA, désalinisation de l’eau d’irrigation, etc). Reste à savoir si l’on retiendra du Qatar les exploits techniques ou l’aberration climatique.

Corentin RICHARD

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