Greenkeepers français à l’étranger : Mathieu Ricard, un Bordelais à la rigueur américaine
Publié le 3 juillet 2025 à 07h00
Catégorie : Actualités
A 23 ans, Mathieu Ricard est parti aux Etats-Unis pour se frotter aux exigences des plus grands parcours. De Muirfield Village à TPC Sawgrass, il a appris une rigueur extrême, un sens du détail exacerbé lors des tournois prestigieux. Un apprentissage qui pourrait lui servir à se hisser au sommet.

Bonjour Mathieu, peux-tu te présenter ?
J’ai 23 ans, je suis originaire de Bordeaux. J’ai commencé le golf très jeune au Golf du Médoc, près de chez mes parents. C’est de là que me sont venus mes passions pour le golf et le greenkeeping. Mon frère évoluait dans l’équipe du Médoc, mes parents jouaient aussi au golf.
C’est un très beau golf pour commencer ces deux passions…
J’ai toujours été chanceux d’habiter à côté de ce golf. Quand j’étais petit je ne me rendais pas compte à quel point ce golf était joli, à quel point j’étais chanceux. Plus j’ai grandi, plus je me suis intéressé au greenkeeping et plus j’ai pris conscience de cette chance.
Quand t’es-tu « éveillé » au greenkeeping ?
Je pense que le sens du détail et l’intérêt de voir de jolis jardins ont toujours été en moi. J’ai toujours été intéressé par Versailles et les jardins à la française. Les golfs en font partie. Vers 12 ans, je ne jouais plus au golf mais je suivais mon frère sur les compétitions, je me posais de plus en plus de questions concernant le gazon. Puis je me suis renseigné sur les différents métiers du secteur. Je suis tombé sur la formation de Dunkerque. Pour pouvoir y accéder j’ai fait un BTS Aménagement paysager à Blanquefort.
J’ai suivi la formation de greenkeeper à Dunkerque, en alternance au Golf du Médoc, où j’avais déjà travaillé quelques fois en tant que saisonnier. Durant cette formation, j’ai entendu parler de l’Ohio State Program. Après un entretien avec Mike O’Keefe, le responsable du programme, j’étais décidé à partir aux Etats-Unis.
Partir à l’étranger, c’était un objectif depuis longtemps pour toi ?
Non, pas spécialement. Ça l’est devenu plus tard. Je n’ai jamais été studieux à l’école. Je ne voulais pas forcément refaire un an d’étude après Dunkerque, je voulais rentrer dans le vif du sujet. Mais ma curiosité a pris le dessus et m’a poussé à partir. Je pense que j’étais aussi en quête de reconnaissance de la part de ma famille, des gens du métier. Métierun métier qui manque de reconnaissance. Dire aux gens que j’ai travaillé sur des golfs qu’on voit à la télévision apporte un peu plus de reconnaissance. C’est plus valorisant. Puis c’était un défi personnel aussi : aurais-je le niveau aux Etats-Unis ?
A ton départ aux Etats-Unis, sur quels golfs avais-tu travailler en France ?
J’ai été volontaire sur plusieurs compétitions : l’Evian Amundi, l’Open de France et les Championnat du monde amateur par équipes au Golf National, Saint-Nom-la-Bretêche. J’avais déjà essayé de bouger en France pour apprendre.
Raconte-nous ton arrivée aux Etats-Unis.
J’avais la chance d’avoir de bonnes bases en anglais. Du mois je le croyais (rires). La première semaine est très épuisante : il faut s’adapter à un tout nouveau monde. Je suis arrivé à Colombus, où se situe l’Université de l’Ohio State. Les deux premiers jours, nous visitons l’université et rencontrons tous les élèves du programme, venus du monde entier. Le troisième jour, nous visitons Muirfield Village, le golf de Jack Nicklaus, un lieu emblématique. Je savais que j’allais y rester car c’était mon golf d’accueil pour les 6 premiers mois. C’était un peu de pression car ce n’est pas n’importe quel golf, le niveau était très relevé.
Au Muirfield Golf Club, nous étions au total 12 internes (3 étrangers et 9 américains), ce qui est assez rare aux Etats-Unis. C’était une volonté du surintendant de transmettre son savoir. Les deux premières semaines sont intenses, il faut s’acclimater, se faire à une nouvelle organisation du travail. Après, ç’a été un pur bonheur. J’ai très rapidement eu la confiance des greenkeepers et du surintendant, Chad Mark.
Peux-tu nous présenter Muirfield Village ?
Muirfield Village est le lieu de naissance de Jack Nicklaus. Il y a construit un golf en 1976, sillonné par le cours d’eau où il pêchait avec son grand-père. Jack Nicklaus avait promis de ramener le PGA Tour dans sa ville natale. Il a dessiné un parcours à son image, le plus dur possible, pour accueillir le PGA Tour.
Lorsque je suis arrivé, une grande phase de rénovation de l’entièreté du parcours, initiée en 2021, venait de s’achever. Tout a été refait : les greens ont été renouvelés, certains ont été déplacés, le système Subair a été installé sur les greens, des bunkers et des arbres ont été ajoutés, le dépôt pour l’équipe d’entretien a été refait… Au total, plus de 20 millions d’euros ont été investis. C’est difficile de faire mieux en termes de rénovation.
Le golf est fermé 4 mois dans l’année, d’octobre à février, car il neige énormément dans l’Ohio. A cette période de l’année, il n’y a que 15 personnes à temps plein sur le golf environ. En pleine saison, on peut monter jusqu’à 45 personnes. Le simple fait de tondre les greens tous les matins avec 6 personnes, ou d’avoir la capacité de tondre l’entièreté du parcours en une matinée était assez impressionnant.

Quels autres détails t’ont particulièrement impressionné ?
La manière dont les greens sont traités. Les greens et les approches sont pulvérisés (traitement ou fertilisation) de la même façon : à la main. Je n’ai jamais vu le moindre appareil à roues aller sur une approche ou un green. C’était uniquement des tondeuses simplex et de la pulvérisation manuelle. Même les top dressings étaient réalisés avec de petits épandeurs. Très honnêtement je n’ai jamais vu des greens aussi beaux de ma vie. La roule moyenne quotidienne devait être à 3m30 environ pendant 6 mois. Idem pour la fermeté. Pour l’anecdote, le dernier soir après le Memorial Tournament, tournoi du PGA Tour, nous jouions au basket sur le green 18 tellement il était ferme. Des détails qui en font l’un des parcours les plus durs du PGA. Et après le tournoi, ça ne s’arrête pas, car le membre est aussi important que le joueur professionnel, et il faut lui présenter le meilleur parcours.
Quel était ton rôle à Muirfield durant le Memorial Tournament ?
J’étais le capitaine de la tonte des greens du retour. A Muirfield, Chad Mark a mis en place une organisation particulière. Il nomme des capitaines plutôt jeunes, qui n’ont pas l’habitude de manager, pour chaque tache. Ces capitaines sont chargés de faire le lien entre les assistants et le surintendant et les volontaires et les jardiniers.
Je devais tondre les greens 14, 17 et 18. Je devais vérifier que toutes les autres équipes avaient bien tondu les greens sur le retour, et récolter toutes les data lors de la tonte : quantité de déchets de tonte, vérifier l’absence de traces, les pitch de marques… Et faire un briefing auprès des superviseurs.
J’étais très honoré d’avoir été le premier capitaine de la tonte des greens étranger à Muirfield et le plus jeune. C’était une expérience géniale.

Après la haute saison à Muirfield, où es-tu parti ?
Je suis parti 6 mois d’octobre à mars) à TPC Sawgrass, à Ponte Vedra Beach en Floride, le siège du PGA Tour. La haute saison en Floride est en hiver, j’ai donc pu enchainer deux périodes intenses. Je suis arrivé pour préparer le Players Championship.
D’un point de vue agronomique, c’était génial de voir deux choses complètement différentes. De travailler sur de l’agrostis et du paturin des prés d’un côté, et du bermuda de l’autre, une graminée avec laquelle je n’avais jamais travaillé. Lorsque la dormance arrive, tout le parcours est semé en Ray-grass.
J’ai aussi pu découvrir « Home of The Players » (le surnom de TPC Sawgrass), qui est trois fois plus grand que Muirfield Village. Nous étions en moyenne 60 personnes par jour sur le parcours. Nous tondions les roughs à la petite tondeuse. Tout était surdimensionné. Nous avions 5 pulvérisateurs pour fertiliser l’entièreté du parcours de la même manière, le practice, les greens d’entrainement… L’entièreté de la propriété était parfaite pour le Players. Tout est au millimètre. Muirfield accueille un tournoi de golf, TPC Sawgrass accueille un événement de golf, c’est la principale différence que j’ai constatée. Le Players a accueilli près de 260 000 spectateurs sur la semaine, nous sommes sous pression car n’importe qui peut faire n’importe quoi sur le parcours. On ne peut pas se rater sur ce genre d’événement. J’ai adoré être autant sous pression.
Le TPC Sawgrass est célèbre pour ses bandes de fairways étroites. Les lignes sont quasiment tracées au sol, avec des flèches au sol qui ne sont plus là le jour de la compétition pour que l’opérateur ne se trompe pas. Sur les départs, nous prenions une boussole que nous posions au sol, nous avions un degré à suivre, nous tracions une ligne au cordeau avec une bombe de peinture. Nous devions reprendre le même angle sur le fairway pour que tout corresponde sur toute la propriété. Au total, la semaine du tournoi, nous étions 210 personnes pour entretenir le parcours.

Quel était ton rôle durant le Players ?
J’étais manager des greens, je devais donc contrôler les bandes, les déchets de tontes et organiser les 4 équipes de tontes. J’étais aussi en charge de gérer l’humidité des greens : je prenais les données avec des sondes d’humidité et en fonction de celles-ci, nous arrosions ou non.

Qu’est ce qui t’a frappé à TPC Sawgrass ?
Chaque jour était un peu spécial. Le niveau de détails et de rigueur nécessaire pour arriver à ce niveau m’a choqué. J’étais persuadé qu’on mettrait les bouchées double un mois avant le tournoi pour que tout soit parfait. Mais nous prêtions attention au moindre détail 6 mois avant la compétition.
Enfin, certains constats m’impressionnent toujours. Sur les 9 trous de l’aller, il y avait 20 personnes pour arroser le parcours au tuyau, 20 autres personnes pour le retour. 30 personnes pour faire les divots sur l’aller, 30 sur le retour. C’était fou. Les fairways sont tondus aux triplex. Comme à Muirfield, tout est fertilisé au pulvérisateur.
Tu as également participé à la Solheim Cup, l’équivalent de la Ryder Cup pour les femmes.
En effet j’ai eu cette chance d’être volontaire pendant une semaine au Robert Trent Jones Golf Club à Gainesville. C’était à mi-chemin entre le Players et le Memorial Tournament. Le lieu est magnifique. C’était intéressant de constater qu’il y a vraiment une grande différence entre faire partie intégrante de l’équipe terrain à plein temps et simplement venir en tant que volontaire. Le volontaire a plus le temps de profiter.

Que gardes-tu de cette expérience ?
Au niveau des connaissances j’ai appris des dizaines et des dizaines de choses bien sur. Mais je garde surtout le niveau de rigueur. Il y avait une phrase de Chad Mark, surintendant de Muirfield, me disait toujours : « La motivation est intéressante pour commencer les choses, mais sans la rigueur tu ne fais rien. » Il l’appliquait : la semaine du tournoi il ne rentrait pas chez lui, il était toujours le premier sur le parcours, même le lendemain du tournoi. En 6 mois, je l’ai toujours vu sur le parcours une fois dans la journée. C’était plus ou moins la même chose à TPC Sawgrass. Tout cela fait comprendre pourquoi ces golfs là sont à un tel niveau : c’est parce qu’à leur tête il y a des gens un peu fous qui sont prêts à tout donner pour atteindre la perfection.
Quand on touche du bout des doigts la perfection sur un golf aux Etats-Unis, dans quel état d’esprit revient-on en France, où les contraintes sont plus nombreuses ?
C’est assez spécial. J’ai vu tellement de parcours exceptionnels (et aussi extrêmement chers). Je me dis que malgré les contraintes il faut faire le meilleur travail possible. Nous avons trop de barrières pour arriver au niveau de ces parcours américains. Il faut s’adapter, il y a des possibilités. La France compte de nombreux talents et de nombreux excellents intendants en France qui font du super travail et proposent des parcours magnifiques sans avoir des budgets énormes. Mais c’est parfois frustrant de voir l’industrie du golf en France. Maintenant, elle est comme elle est, il faut essayer de la faire avancer. Il y a beaucoup de choses à moderniser selon moi, sans forcément s’américaniser. Les parcours sont de mieux en mieux, la Ryder Cup en France a fait beaucoup de bien. D’un point de vue personnel, que ce soit aux Etats-Unis, en France ou ailleurs, j’essaierai d’aller le plus haut possible, d’accomplir mes rêves. Et j’ai toujours rêvé de pouvoir dire que je suis le numéro 1 en France. Alors je vais essayer d’y arriver.