[Débats d'idées] Alain Dehaye: "Faire du « zéro pesticide » est encore aléatoire pour garantir une efficacité totale sur l’année"
Catégorie : Paroles d’experts
Pour poursuivre notre série de tribunes « zéro % phyto, 100% mytho? », voici cette semaine la première partie des réponses d’Alain Dehaye, expert indépendant et gérant du bureau de conseil Les Ateliers du Golf.
Selon vous, est-il possible de faire du 0% phyto en terrain de sport ? Et si oui, sous quelles conditions?
Il faut se dans replacer le contexte : il est plus facile de gérer un terrain de sport tondu à 30 mm qu’un green de golf tondu à 3 mm mais il est plus délicat de maintenir des conditions de jeu optimales toute l’année dans une zone de tribune perpétuellement à l’ombre que sur un green en plein soleil… Le raisonnement est lié à des facteurs multiples, essentiellement dus à la physiologie du végétal et à son stade de développement, aux conditions environnementales et bien sûr au niveau d’exigences du sport en question, sans parler des durées d’utilisation des surfaces sportives…
Dès l’instant où l’on est en monoculture, les raisonnements naturels logiques ne tiennent plus car il s’agit de systèmes de production sur des supports crées pour cela et avec toutes les techniques intensives. La protection phytosanitaire fait partie du système de production. Il ne faut pas rêver mais se rendre à l’évidence que par moments, l’aide chimique est une obligation pour maintenir en état la production, car sur terrain de sport tel que nous l’entendons, nous sommes en milieu artificiel, arrosé et quelquefois hors-gel.
Cependant, engager une diminution des intrants chimiques dans la maintenance est obligatoire et à encourager et nous sommes en période transitoire et dans le cadre d’un raisonnement intégré. On ne passera pas d’un tout chimique avec ses méthodes bien rodées depuis plus de 40 ans à un tout naturel, car nous sommes confrontés à des enjeux que nous ne savons pas anticiper en totalité, en particulier pour les adventices résistantes et graminées estivales, sans parler des champignons pathogènes.
Ne pas prévoir, c’est déjà gémir disait Léonard de Vinci. Beaucoup de responsables et intendants sont conscients et préparés aux enjeux à venir. Faire du « zéro pesticide » est encore aléatoire pour garantir une efficacité totale sur l’année, au sens ou les gestionnaires et pratiquants l’entendent. Sur une courte période, des solutions existent mais elles imposent de maîtriser certains aspects comme l’arrosage par exemple ou revoir les normes et modes de construction.
Les intendants de terrains de sport sont-ils soumis à une « phyto-dépendance »? Si oui, pourquoi? Et y a-t-il des disciplines (parmi les suivantes: golf, football, rugby et hippisme) qui y sont plus sujettes que d’autres?
Bien sûr que nous sommes encore phyto-dépendants car les systèmes de culture ont été créés pour cela et le gazon n’y échappe pas en qualité de culture de graminées intensives. Les intendants ont été formés dans cet esprit pour la plupart et cette idée nouvelle de limitation des intrants est assez récente ( 20 ans), même si le concept de lutte intégrée est déjà ancien.
La prise de conscience est réelle dans notre secteur depuis des années car nous sommes en contact permanent avec la nature. Il y a 10 ans, lorsque l’on sondait les français sur leur préoccupation, 5% seulement parlaient d’écologie au sens large. Aujourd’hui, cela représente 50% des préoccupations de la population.
Nous avons été formatés pour donner une réponse immédiate et chimique au parasitisme et à l’alimentation des végétaux car les systèmes sont fragiles et conçus pour cela. D’ailleurs, les normes en terrain de sport sont essentiellement physiques et mécaniques, mais peu agronomiques au sens du raisonnement pur de la bonne gestion d’un système sol – plante – climat. Nous l’avons vécu dans le milieu du golf a une époque ou l’agronomie était au service du terrassement, ce qui est un comble. D’ailleurs, bon nombre d’équipements souffrent de cette non prise en compte.
Il faut donc apprendre à raisonner différemment et trouver ses propres réponses. La formation est le pivot de cette approche. Ensuite, réformer est un processus lent, même si les organisations professionnelles et les fédérations mettent en place des structures pour accélérer ces process. Il faut changer notre logiciel et reformater toute l’approche technique. Nous avons changé d’époque et avons appris aussi de nos erreurs.
Existe-t-il en l’état des solutions crédibles aux fongicides? Les produits de biocontrôle leur sont-ils directement substituables?
Des solutions sont possibles au cas par cas et dans certaines situations, le biocontrôle donne des résultats probants. Mais il a ses limites. Il faut surtout réaliser ses propres essais et débuter cette mise en place par une revue environnementale complète du site avec des objectifs réalisables. Cette étude minutieuse est un préalable à toute action car, dans de nombreux cas, les résultats positifs sont basés sur les interactions et synergies.
Chaque jour, de nouveaux procédés ou des nouveautés sont mis sur le marché. Cependant, la plupart sont des méthodes préventives ou à inscrire dans des programmes complets ou des itinéraires techniques bien pensés. Il s’agit de véritables stratégies à mettre en place et pas seulement le raisonnement d’un point précis. C’est donc un exercice plus ardu, plus précis et plus délicat qui peut aussi amener à un résultat moins démonstratif et évident qu’avec un produit chimique de synthèse, mais qui s’inscrit dans un autre type de démarche. On revient à plus de sagesse et plus de respect de la terre mais les situations sont souvent critiques et demandent des interventions à long terme.
redaction.gsph24profieldenvents.com (Idir Zebboudj)
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