Stade Chaban-Delmas : L’heure du changement pour l’un des derniers terre-sable du Top 14
Catégorie : Pratiques
Au sein d’une enceinte remplie d’histoire, la pelouse du stade Chaban-Delmas bénéficie depuis 2009 d’un entretien raisonné impulsé par Christian Bergeon, qui la suit depuis 44 ans. Comme un symbole, ce dernier va tirer sa révérence juste avant le passage à une pelouse hybride.
Situé en plein cœur de Bordeaux, il passe presque inaperçu tant il se mêle aux bâtisses de la ville. Le Stade Chaban-Delmas fait partie intégrante, au sens propre comme au figuré, du patrimoine de la cité bordelaise. Fini le bleu marine et blanc des Girondins de Bordeaux, l’enceinte arbore désormais les couleurs de l’Union Bordeaux-Bègles, qui a terminé troisième du Top 14 cette saison. Si son histoire avec le rugby est récente, le stade Chaban-Delmas possède un historique riche. Celui-ci est d’ailleurs bien documenté par la série de photographies accrochées de part et d’autre de son mythique « plus long couloir d’Europe », avec ses 130 m reliant les vestiaires à la pelouse.
Une enceinte riche d’histoire
C’est à l’occasion de la Coupe du monde de football 1938 qui se tenait en France que l’enceinte actuelle a vu le jour. Construit sur l’ancien Parc des Sports et sa piste de cyclisme elliptique en bois, il a été dessiné par l’architecte Raoul Jourde, à qui l’on doit son style Art déco et ses tribunes emblématiques, couvertes sans aucun pilier pour cacher la vue des spectateurs. Le Parc Lescure, inauguré le 12 juin 1938, est à sa création une enceinte omnisport, qui accueille en plus du terrain de football une piste d’athlétisme et un vélodrome.
Dès lors, il faudra attendre plus de 40 ans pour assister aux premières réfections de la pelouse. En 1979, les systèmes de drainage et d’irrigation sont modifiés. Les Girondins de Bordeaux, club résident, connaissent leur premier âge d’or dans les années 1980, auréolé de trois titres de champion de France et deux coupes nationales. Ainsi, en 1986, le stade est entièrement revu : la piste d’athlétisme et le vélodrome sont retirés pour agrandir les tribunes qui passent à une capacité de 30 000 spectateurs ; dans le même temps, la pelouse est entièrement refaite. En préparation de la Coupe du monde 1998, les tribunes sont encore agrandies et ceinturent désormais le stade, qui prend sa configuration actuelle avec une jauge à 34 000 places assises. En 2001, le Parc Lescure est renommé Stade Chaban-Delmas en hommage au célèbre maire de Bordeaux qui a officié de 1947 à 1995.
Côté terrain, une grosse intervention a lieu en 2006 : l’ensemble du gazon, très feutré et instable, est retiré et le terre-sable amendé avec 560 tonnes de sable ; dans le même temps, 9 500 m de drainage de surface sont refaits. Les autres faits marquants côté pelouse Les trois concerts de Johnny Halliday qui ont eu lieu à Chaban en 2003, 2009 et 2012 ont contraint à chaque fois à replaquer la surface engazonnée. En 2012, après le troisième concert, la planéité de la pelouse a également été reprise, le substrat décompacté et remis en forme avec un léger apport de sable avant de resemer et de refaire le drainage de surface.
Si le stade Chaban-Delmas était initialement le domicile des Girondins de Bordeaux, l’émergence de l’Union Bordeaux-Bègles en Top 14 a amené les deux clubs à cohabiter au sein du stade de 2011 à 2015. En 2015, les Girondins déménagent au Matmut Atlantique et le stade n’accueille plus depuis que des matchs de rugby. Lors de la saison 2021-2022, entre le Top 14 et la Champions Cup, 17 matchs se sont ainsi déroulés sur la pelouse de Chaban-Delmas.
44 ans au chevet de la pelouse de Chaban
La pelouse du stade Chaban-Delmas n’a plus de secret pour Christian Bergeon, le responsable des espaces sportifs extérieurs. Entré à la ville de Bordeaux en tant que technicien en 1978, il a 44 ans d’expérience au sein du Centre Technique qui gère les équipements sportifs plein air de la ville et en est l’ingénieur responsable depuis 2009. « Le rôle du Centre Technique est Sur tous les espaces sportifs extérieurs, le centre technique assure l’écoute, l’étude du programme, la passation des marchés, le suivi des travaux et la livraison de l’espace », précise-t-il.
S’il ne s’occupe pas directement de la pelouse, Christian Bergeon supervise son entretien et assiste les deux jardiniers qui composent l’équipe d’entretien avec leur responsable d’unité. « Avec le responsable du centre technique et un technicien, nous sommes habituellement trois pour apporter le soutien aux jardiniers et diagnostiquer les maladies », ajoute-t-il.
Christian Bergeon a notamment joué un rôle prépondérant dans la création du label Pelouse Sportive Ecologique. « La ville de Bordeaux s’est engagée très tôt dans une démarche écoresponsable, avec le vote d’une Charte municipale de l’Ecologie en 2007 et l’Agenda 21 l’année suivante. Dans ce contexte, le service Espaces Verts de la ville s’était lancé dans une démarche de labellisation EVE (pour « Espace Vert Ecologique ») et nous nous sommes intéressés à la démarche Pelouse Sportive Ecologique (PSE) dès 2009 », précise-t-il. Aux côtés de Christophe Gestain, l’initiateur de la démarche, il participe même à la rédaction du cahier des charges du label de 2012 à 2013. Ainsi, la pelouse du stade Chaban-Delmas fut la première pelouse labellisée PSE en 2014, avec 9 autres installations sportives et 21 pelouses de grand jeu.
Réapprendre la culture du gazon et du sol
Plus que des changements de pratiques, le label a permis dans un premier temps de resensibiliser les professionnels sur le travail du sol et la vie du gazon. Le premier axe de travail concernait la maîtrise l’irrigation. « A l’origine, nous arrosions avec des rampes équipées d’asperseurs. En 1980, nous sommes passés à un arrosage automatique intégré, mais sans forcément se soucier des conditions météorologiques. Nous avons donc envoyé tous nos jardiniers suivre une formation « Gestion de l’eau ». Aujourd’hui, l’arrosage est géré par les jardiniers en connaissance du bilan hydrique quotidien en fonction de l’évapotranspiration et de la pluviométrie mais aussi de la teneur en eau du sol évaluée au toucher quotidiennement. Nous avons ainsi réduit de 70 % notre consommation d’eau », indique Christian Bergeon. Outre la gestion de l’eau, le sol constituait un autre pilier fort du label. « Dans le gazon, il n’y a pas que les feuilles. Il y a les racines aussi et il faut qu’elles respirent. Nous avons donc travaillé la porosité du sol et effectués plus d’opérations mécaniques en nous équipant d’aérateurs-décompacteurs », détaille-t-il.
Dans sa volonté d’appliquer une gestion du gazon plus vertueuse, Christian Bergeon explique que le plan de fertilisation de la pelouse du stade a été revu dès 2009 et orienté vers une fertilisation raisonnée essentiellement faite avec des engrais organiques en partenariat avec Frayssinet, l’un des premiers à proposer un plan de fertilisation 100 % organique pour les pelouses d’honneur. De 400 unités d’azote sous forme d’engrais minéraux de synthèse en 2007, la pelouse de Chaban est passée à 200 unités fertilisantes en 2021. Dès 2013, 95 % des engrais étaient organiques.
Concernant les produits phytopharmaceutiques, leur utilisation a aussi nettement diminué. « Avant il y avait beaucoup de maladies. En raison principalement de l’excès d’arrosage, nous faisions de nombreux traitements. En 2006, à Chaban, nous utilisions 465 L d’herbicides et une centaine de litres de fongicides. Aujourd’hui, on n’utilise plus du tout d’herbicides depuis 2010 et on se limite à 20 L de fongicides depuis 2014 », affirme le responsable technique. Afin d’avoir des indications sur leur plan de fertilisation, Christian Bergeon et ses hommes effectuent un suivi poussé du sol avec des analyses spécifiques : pédologiques, physico-chimiques, foliaires, hygrométriques ainsi qu’un suivi de la biomasse microbienne du sol.
Dans une volonté de limiter l’envahissement du paturin annuel, le Centre technique, après avoir placé des sondes tensiométriques dans le sol, a tenté de faire dessécher la pelouse au maximum en surface pour éliminer dans un premier temps l’enracinement superficiel, le paturin annuel, et garder l’humidité en profondeur. Le Ray-grass ayant un enracinement plus profond que le paturin annuel, seul ce dernier serait éradiqué. « Il ne resterait plus que le Ray-grass, les sondes de tensiométrie nous indiquant que l’humidité était favorable à cette graminée. On l’a fait une année entre la fin du printemps et le début de l’été, mais c’était trop difficile à mener à bout, la pluie nous perturbait régulièrement », explique-t-il.
Passage à l’hybride en 2023
En novembre prochain, Christian Bergeon va tirer sa révérence et passer le flambeau à son successeur, Stéphan Morvan, un ingénieur spécialisé en eau potable & assainissement arrivé en mi dernier pour préparer la passation. L’année 2023 sera également synonyme de changement pour le stade puisqu’il va passer sur une pelouse hybride. L’un des derniers vestiges du substrat terre-sable en Top 14 va donc basculer vers une technologie qui a été très vite adoptée par le monde du rugby professionnel.
« Cela fait des années qu’on résiste, mais nous ne pouvons plus maitriser la qualité du tapis végétal en automne-hiver. On a des calendriers soutenus. Il suffit d’avoir un ou deux matchs dans des conditions météorologiques très défavorables pour avoir une pelouse qui s’arrache énormément », déplore Christian Bergeon. L’hiver dernier a particulièrement été difficile pour les jardiniers bordelais, parfois obligés de reboucher les trous à la mi-temps d’un match. La tenue des rencontres dans ces conditions favorise également l’émergence de maladies. « Ponctuellement, on a des apparitions de fusariose ou de sclerotium. Ce n’est pas systématique. Pour éviter ces maladies cryptogamiques qui asphyxient le sol, nous effectuons plusieurs types de travaux mécaniques pour améliorer et maitriser la perméabilité et l’aération du sol (aérations, défeutrages, etc.) En hiver, lorsque les conditions ne sont pas bonnes, la compaction bloque le substrat et limite le volume d’air dans le sol, ce qui favorise le développement de maladies », estime-t-il.
Pour passer l’hiver plus sereinement, le Centre Technique a choisi de passer l’année prochaine sur une technologie hybride de type tuftée. Issu du génie civil, Christian Bergeon compare le substrat hybride à une « terre armée ». « C’est la technique la plus adaptée au rugby. Comme on « arme » verticalement le substrat, ce dernier est plus fort pour résister aux contraintes transversales horizontales fréquentes en rugby (mêlées, rucks…) », explique-t-il.
Cette « terre armée » parviendra-t-elle à aider l’UBB dans la quête de son premier Bouclier de Brennus ? Le stade Chaban-Delmas n’attend que cela pour compléter son histoire déjà très riche.