Pyricularia oryzae : Beaucoup de questions, peu de réponses

Catégorie : Recherche & innovation

Le champignon pathogène Pyricularia oryzae a une fois de plus animé le quotidien de bon nombre de groundsmen français durant l’été et même plus. A l’origine de la pyriculariose, le champignon est l’une des principales craintes des professionnels tant les armes sont rares pour y faire face. Didier Tharreau, phytopathologiste au CIRAD et spécialiste de cet agent pathogène, nous en dit plus sur l’un des principaux ennemis des terrains de sport engazonnés.

Spore de Pyricularia oryzae sur Ray-grass anglais variété Altesse, PH Aberlenc, CIRAD, 2018.

Repérée en France dès 2016, la pyriculariose continue de gangrener certaines pelouses sportives comme en atteste ce début de saison 2023, où le stade de la Mosson à Montpellier a été particulièrement touché. Cela fait maintenant 7 ans que la maladie est connue en France, mais qu’a-t-on réellement appris durant ces sept années à son sujet ? Didier Tharreau, phytopathologiste et expert de la pyriculariose au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) fait le point.

 

Pyricularia oryzae est l’agent responsable de la pyriculariose sur les Ray-grass. Selon le Cirad, aucune mention de Pyricularia oryzae sur gazon en Europe n’a été faite avant la parution d’un article en Suisse en 2017 (Visentini, D. 2017, « La pelouse de la Praille est un terrain de spores. Malaise… », La Tribune de Genève, 31/08/17). L’agent pathogène est scientifiquement cité pour la première fois en Europe au stade de Genève, puis rapidement au stade de La Mosson. Auparavant, la maladie aurait été détectée en France, en Espagne et en Italie sans toutefois faire l’objet de publication. Selon Didier Tharreau et d’autres membres du CIRAD, « la première publication scientifique démontrant que P. oryzae est responsable des épidémies observées en Europe sur le ray-grass date de 2018 (Milazzo et al., 2018). »

 

Montpellier : premiers terrains de recherche pour le CIRAD

Dire que Didier Tharreau connait bien la pyriculariose est un euphémisme. Le chercheur l’étudie depuis plus de 30 ans et il a notamment fait sa thèse sur la pyriculariose du riz, causée par le champignon pathogène Pyricularia oryzae, le même sévissant sur les terrains de sport. « Je travaille sur la génétique des interactions, la génétique des populations, je suis un phytopathologiste généraliste », nous explique-t-il. Sa mission et celle du CIRAD est de produire de la connaissance au sujet de l’agent pathogène, mais aussi de tenter de trouver des solutions. En 2017, la métropole de Montpellier contacte le CIRAD au sujet de la pyriculariose. Le stade de la Mosson est à cette époque touché pour la première fois par la maladie et très vite se noue un partenariat entre la collectivité et le centre de recherche. « Nous sommes prestataires de service pour la métropole pour le suivi des pelouses sportives et en particulier les problèmes de pyriculariose ».

Le but de ce partenariat est d’accompagner la métropole en faisant à la fois de l’épidémio-surveillance et tentant de proposer des solutions. Si à l’heure actuelle, la détection de la maladie ne pose pas de problème, trouver des solutions pour limiter son expansion reste difficile. « Pour le moment, nous sommes toujours en phase de recherche, et des solutions il n’y en a pas beaucoup… », regrette-t-il. Mais avant de trouver des solutions, il faut d’abord bien comprendre l’agent pathogène. Et sur ce point, la recherche a avancé.

Comprendre le pathogène

Depuis le début des travaux sur Pyricularia oryzae sur les terrains de sport, le CIRAD a réussi à accumuler des connaissances sur l’agent pathogène. La question scientifique de base est de savoir par quelle modification génétique le champignon est devenu capable de passer d’une espèce à une autre. Pyricularia oryzae attaque différentes cultures : le blé, le riz, le maïs et le Ray-grass. « Nous savons que les souches qui sont pathogènes du Ray-grass peuvent assez facilement attaquer le blé. Les souches sont génétiquement très proches », indique Didier Tharreau.

Dès 2017, Didier Tharreau et son groupe de travail ont essayé de récolter des informations sur la diversité de l’agent pathogène à l’échelle européenne. Après avoir obtenu quelques souches européennes, les analyses se poursuivent encore actuellement. « Le temps de la recherche malheureusement est un temps long par rapport aux besoins de solutions », ajoute Didier Tharreau. Les résultats des premières analyses de ces souches européennes suggèrent une faible diversité du champignon et une absence de reproduction sexuée. Mais ces hypothèses doivent encore être confirmées. Les recherches ont toutefois permis d’acquérir certaines certitudes : le champignon est capable de résister à l’hiver, il peut infecter les racines mais aussi être présent dans des déchets de tonte.

A la Mosson, la première épidémie est intervenue en 2017. Par la suite, le CIRAD n’a plus détecté le champignon jusqu’en 2022. « Est-ce que le champignon était encore là, en latence, et il s’est réveillé en 2022 avec des conditions plus propices à son développement ? Ou est-ce qu’il avait disparu ? Nous ne sommes pas capables d’y répondre actuellement », explique Didier Tharreau. Ce dernier pense toutefois, et ce n’est que son avis personnel, que le champignon n’était plus là et a été réintroduit en 2022.

Mais par quel moyen ? A ce jour, nous ne connaissons pas le mode de diffusion du champignon, les chercheurs sont face à une « boite noire ». Plusieurs hypothèses sont émises, aucune n’a pour l’heure convaincu le CIRAD. « Certains disent que l’agent pathogène est transporté sous les chaussures des joueurs avec des débris infectés. Ce n’est pas exclu, mais les joueurs nettoient leurs chaussures et les débris ne sont pas si nombreux. La dispersion longue distance par des moyens naturels, nous n’y croyons pas trop. Nous connaissons bien Pyricularia oryzae sur le blé ou sur le riz, et il a tendance à faire des spores qui ne vont pas très loin. Enfin, nous ne connaissons pas de source d’inoculum en dehors des gazons. Nous ne connaissons pas d’autres plantes qui hébergent des souches attaquant le Lollium. Le champignon pourrait aussi revenir avec des graines infectées. Les producteurs de semences font leur travail correctement, mais il n’y a pas de contrôle sanitaire sur les semences, et cette piste n’est pas écartée », énumère Didier Tharreau.

Concernant l’épidémie de 2023, le phytopathologiste a plus de certitudes quant aux raisons de la reprise de la maladie : « Nous sommes presque surs que ç’a redémarré de ce qu’il y avait déjà en 2022 parce que les équipes d’entretien ont fait un scalpage partiel du terrain. Si le champignon était là et a survécu à l’hiver, toutes les conditions étaient réunies pour un redémarrage de l’épidémie », explique-t-il. Les conditions climatiques sont en plus super favorables en arrière-saison, ce qui n’a pas joué en faveur des gestionnaires.

Beaucoup de questions, pas encore de réponses

Les questions sont nombreuses. Les hypothèses également. Mais il y a finalement encore peu de réponse concernant Pyricularia oryzae et tout autant de solutions pour y faire face. Plusieurs raisons l’expliquent.

D’abord, la recherche en général doit travailler avec la discrétion de certains clubs. Tous les épisodes de pyriculariose ne sont pas forcément remontés et des clubs peuvent, pour divers enjeux, ne pas communiquer. « D’un point de vue scientifique, plus nous avons d’informations, plus nous pouvons comprendre ce qu’il se passe et éventuellement proposer des solutions », indique-t-il.

Concernant le peu de solutions à disposition, il s’explique notamment par une très faible résistance variétale à l’agent pathogène. Les premières épidémies de pyriculariose sur Ray-grass ont été recensées sur les golfs aux Etats-Unis dans les années 1990. Cela a donné lieu aux premières recherches sur le sujet. Un criblage régulier est fait pour savoir si certaines variétés de Ray-grass sont résistantes. Et les résultats sont peu probants pour le Lolium. « Pour le Ray-grass, les variétés les plus résistantes ne parviennent pas à bloquer totalement le champignon. Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à cribler des variétés et à utiliser les plus résistantes, mais ce n’est pas la solution miracle », indique le membre du CIRAD. En parallèle, certaines variétés de riz présentent des résistances très fortes à Pyricularia oryzae, suffisamment pour ne pas avoir d’épidémie contrairement au Ray-grass.

Certains fongicides existent, mais leur efficacité face au champignon déjà bien installé est relative, et ils ne font de toute façon pas partie des solutions d’avenir compte tenu de la Loi Labbé. Des produits de biocontrôle sont également sur le marché, mais leur efficacité n’est pas prouvée. « D’autres leviers agronomiques sont activables comme limiter la fertilisation en azote, limiter l’arrosage… Et c’est à peu près tout ce que nous avons comme levier », indique Didier Tharreau.Une des pistes pour se débarrasser la pyriculariose serait de changer d’espèce. Le Ray-grass est attaqué par l’agent pathogène, pas le paturin. Le bermudagrass est quant à lui plus résistant à la pyriculariose.

Au fil des années, les conditions climatiques deviennent de plus en plus favorables au développement de la pyriculariose. Avec le dérèglement climatique, son spectre d’action s’est considérablement augmenté. Preuve en est avec la présence de la pyriculariose sur certaines pelouses encore au mois d’octobre, ce qui n’était pas possible lors de son apparition en France. Si le problème demeure majeur pour les gestionnaires de terrains, il faudra toutefois encore s’armer de patience, à défaut d’avoir des armes efficaces pour lutter, afin de trouver une solution pour faire face au champignon.

Corentin RICHARD

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