Les tremplins internationaux de Lucas Pierré

Catégorie : Pratiques

Parti successivement en Angleterre puis aux Etats-Unis avant de revenir en France au Golf National où il a préparé la Ryder Cup et prépare actuellement les JO 2024, Lucas Pierré nous raconte ses aventures étrangères qui lui ont surtout permis d’apprendre l’anglais, un outil nécessaire pour obtenir un poste dans un golf de très haut standing comme il le souhaitait.

Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?

Je suis Lucas Pierré, superintendant du Golf National depuis 2016. J’ai fait la formation d’intendant au CFPPA Dunkerque de 2009 à 2011, durant laquelle j’ai travaillé au golf de Saint-Germain. A l’issue de celle-ci, j’ai connu deux expériences à l’étranger en Angleterre puis aux Etats-Unis.

 

Pourquoi être parti en Angleterre ?

Pour plusieurs raisons. D’abord, comme je n’étais dans le milieu que depuis deux ans après l’obtention de mon diplôme (je faisais une fac de sport avant), je manquais d’expérience sur le terrain. L’intendant de Saint-Germain, Jean-Marc Legrand, m’a conseillé de partir à l’étranger, notamment pour apprendre l’anglais, qui me semble essentiel dans le métier. Lorsqu’on est intendant, si on ne parle pas anglais, on devient vite dépendant des autres. A l’époque, on faisait un peu plus de choses à l’étranger, les golfs étaient dotés de plus grands moyens. C’était plus facile d’arriver avec un cursus comme le mien sur des très bons golfs. Puis il y a une véritable culture turf au Royaume-Uni, complétement différente de celle en Europe. Au début, je ne comptais rester qu’une année, puis je suis finalement resté de fin 2011 à 2015 en Angleterre.

 

Pour quels golfs avez-vous travaillé en Angleterre ?

J’ai fait deux golfs dans la banlieue londonienne. Il y a d’abord eu le Moor Park Golf Club, un golf 36 trous près de Watford, pendant un an et demi. Puis j’ai ensuite travaillé deux ans et demi au prestigieux Sunningdale Golf Club situé à 50 km au sud-ouest de Londres. C’est également un golf 36 trous qui a une histoire riche. En termes d’entretien, je n’avais jamais vu cela auparavant. Il n’y avait pas énormément de fréquentation, mais les parcours étaient tout le temps bien présentés. A Sunningdale, nous étions 36 à nous occuper des 36 trous !

 

Puis vous êtes parti aux Etats-Unis, pourquoi ?

En Angleterre, j’ai commencé à postuler à des postes autres que jardinier. Je me suis rendu compte, en ne les décrochant pas, que la plupart des personnes retenues s’étaient formées aux Etats-Unis. Je me suis donc dit en 2015 que si je souhaitais obtenir des postes plus qualifiés il fallait que je parte aux Etats-Unis. Je suis parti avec l’université de l’Ohio State qui recrute des étudiants en Europe et en Australie. Les formations se font en ligne puis nous sommes en immersion dans un golf. Généralement nous faisions la saison d’été dans les golfs du Nord, et la saison hivernale dans les golfs du Sud. Lorsqu’un greenkeeper revient de l’Ohio State program, on sait que la personne a acquis une grande expérience de tournoi.
Je suis parti 18 mois, tout s’est très bien passé. D’abord au Scioto Country Club dans l’Ohio puis au TPC Scottsdale dans l’Arizona. J’ai pu faire plusieurs tournois du PGA, travailler dans des bons golfs de membres près de Colombus. En 2016, j’ai fait la rencontre d’Alejandro Reyes, qui cherchait un assistant pour le parcours de l’Albatros au Golf National. C’était une bonne occasion de rentrer en France. Le Golf National voulait vraiment quelqu’un qui puisse parler anglais pour préparer la Ryder Cup, nous sentions vraiment cette dimension internationale dans les équipes, nous parlions tout le temps anglais. Au bout de 6 mois, certains découvraient que j’étais français.

 

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Qu’est-ce qui vous a vraiment frappé à votre arrivée en Angleterre ?

Il y a plus de salariés qui sont golfeurs. Il y a un système très bien fait en Angleterre : « les artisans ». Dans tous les clubs de golf, les personnes qui travaillent dans l’artisanat se voient réserver des créneaux pour jouer. Les Anglais laissent des parcours ouverts pour des gens qui ont moins les moyens. Et c’est comme cela que des jardiniers qui ne connaissaient pas le golf postulent finalement pour des offres de jardinier de golf.
La culture turf britannique m’a également impressionné. En Angleterre, c’est presque obligatoire de bien entretenir son jardin lorsqu’on en a un. Les Anglais sont également mieux structurés en termes d’associations et d’organisations autour de la BIGGA notamment qui propose beaucoup de formations.

 

Y a-t-il des différences entre l’entretien des parcours français et anglais ?

Il n’y a pas de différence fondamentale. Elle se fait surtout au niveau des budgets, des effectifs et de la législation. Il y a plus de jardiniers, il n’y a pas les 35 h par semaine. Les journées sont un peu plus longues. C’était la première fois que je travaillais à la simplex, en France c’est très rare. Je pense aussi que l’entretien des machines était différent. En France, c’est très compliqué de trouver des mécaniciens de golf. En Angleterre, il y avait de vrais ateliers avec des mécaniciens qui entretenaient les machines tous les jours.

 

Et comparé aux Etats-Unis ?

Les Etats-Unis sont encore un voire plusieurs crans au-dessus de l’Angleterre en termes d’entretien. Le premier golf 18 trous où j’ai travaillé dans l’Ohio comptait plus de 40 jardiniers ! Nous changions les trous tous les jours. Parfois, le vendredi après-midi, il n’y avait plus rien à faire. Mais quand je dis plus rien c’est plus rien, on me donnait un ciseau en me disant « tu vas trouver quelque chose à découper », et je tournais pendant plus d’une demi-heure pour trouver quelque chose à découper ! Les parcours étaient manucurés.

J’ai eu la chance en Arizona d’assister à une inversion de flore assez intensive. A l’approche de l’hiver, les golfs du Sud implantent des graminées utilisées en Europe continentale (Ray-grass, agrostis). Ils passent du bermuda grass au Ray-gras sur les fairways et aux agrostis sur les greens. Tout est scalpé, nous balancions des tonnes de graines et des tonnes d’engrais. Les arroseurs tournaient 20 h/24 h pendant deux semaines et finalement le parcours était totalement vert avec du Ray-grass et des agrostis pour quatre mois seulement.

 

Et au niveau de la conscience écologique ?

Aux Etats-Unis il n’y en a aucune. Du moins dans les golfs que j’ai fréquentés. En Angleterre j’ai eu la chance de travailler sur des parcours qui avaient une gestion des arbres bien réfléchie et différente de celle en France. Ils ne gardaient que les essences d’arbre qui étaient faites pour le parcours. Il y avait aussi déjà cette volonté de laisser certaines zones à la nature comme c’est le cas des roughs en France, et de ne pas dénaturer les parcours. La conscience écologique ne date pas d’hier là-bas, même si aujourd’hui ils n’ont pas autant de restrictions que nous.

 

Avec le recul, que vous ont apporté ces expériences ?

Déjà cela m’a permis de maitriser complètement l’anglais. Puis cela m’a également inculqué la culture du travail. Quand on travaille dans des pays comme ceux-là, on est conscient qu’il faut fournir des efforts et les maintenir, être rigoureux. J’ai vécu huit saisons à l’étranger, j’ai acquis énormément d’expérience. J’ai pu voir ce qu’il se faisait de mieux dans le monde. Ils ont tout ce qu’il faut pour avoir de superbes parcours.

 

Comment s’est passé votre retour en France ?

C’a été difficile (rires). Je ne pensais pas rentrer en France si tôt. Je ne voulais pas aller n’importe où. Une fois qu’on a gouté aux golfs qui ont de gros moyens, c’est compliqué. C’était très clair dans ma tête : je voulais travailler dans un golf qui a les moyens et qui accueille des tournois. Arrivé au Golf National, il m’a fallu 3 mois pour me remettre dans le bain.

Corentin RICHARD

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