Golf de Massane : Un renouveau au rythme du Bermuda
Publié le 30 mai 2025 à 07h00
Catégorie : Actualités
Arthur Lejeune, surintendant du Golf de Massane, revient sur le projet d’envergure d’inversion de flore sur les 18 fairways et départs. Entre placage et bouturage, hydroseeding et pigmentation, ces travaux majeurs ont profondément transformé les pratiques. Un projet qui permet aujourd’hui au golf, à son surintendant et son équipe de voir l’avenir plus sereinement.

Le Golf de Massane, situé à Baillargues, au riche passé golfique, a entamé une mutation majeure de ses fairways et départs durant l’été 2023. Dans la continuité de la démarche écologique initiée par nouveaux propriétaires arrivés en 2020, le groupe Eoden, l’objectif était d’implanter une graminée résiliente peu consommatrice en eau, résistante aux maladies et agréable à jouer. Ce chantier, porté par le binôme Arthur Lejeune, surintendant, et Bruno Castel, directeur du golf, s’est étalé sur plusieurs mois et a déjà livré des enseignements précieux.
Arthur Lejeune, en dehors des sentiers battus
Porteur de ce projet, Arthur Lejeune est arrivé à Massane en septembre 2022. Il présente un parcours atypique dans la filière, une sorte de self-made man qui n’a pas suivi de formation d’intendant de parcours de golf et n’a rejoint le monde du golf qu’à 28 ans.
Après une expérience de practiceman autour de Nantes, c’est au Golf de Nantes Erdre qu’il tond ses premiers greens avec celui qui lui a donné sa chance dans ce métier, Jean-Maurice Poignet, avec qui il entretient encore d’excellentes relations. Après un hiver au Golf de la Baule, c’est au Golf de Granville qu’Arthur Lejeune « réapprend » son métier, pendant 3 ans et demi, au contact de l’intendant Florian Jossolme. Désireux d’avoir plus de responsabilités, il postule à Massane, où il est aujourd’hui surintendant, au cœur d’un projet ambitieux.
De Granville à Massane : Une histoire de grands écarts
Entre Granville et Massane, le grand écart climatique est conséquent. « Ce n’est pas du tout le même greenkeeping, les problématiques sont différentes, nous n’entretenons pas le gazon et les sols de la même manière », confie Arthur Lejeune. Et pour cause, à Baillargues, près de Montpellier, il y a beaucoup de chaleur, de soleil, et énormément de vent. Par exemple, le taux d’évapotranspiration peut atteindre les 6% en mars.
En arrivant à Massane, Arthur Lejeune doit mettre de côté les certitudes acquises en Normandie. « Ce qui était pour moi acquis à Granville n’était pas forcément valable à Massane. Il a fallu observer, comprendre, et ajuster nos pratiques. » Le métier d’intendant et de greenkeeper implique une constante redéfinition de ses connaissances, de ses vérités, d’autant plus lorsqu’on est amené à changer d’environnement.
Le Lyonnais d’origine a également dû maitriser rapidement les dimensions managériales du poste, en assumant la gestion des équipes et des plannings. Le surintendant en place à son arrivée lui délègue la gestion des équipes et des plannings. « C’était sans doute la partie la plus dure de mon apprentissage, parce que j’avais peut-être des idées arrêtées, je n’avais pas encore pris assez de recul et de hauteur sur les attentes de l’équipe et sur les miennes. Passer de jardinier à adjoint nécessite de prendre du recul », raconte-t-il. Être surintendant, c’est être leader, insuffler sa vision du greenkeeping à toute l’équipe terrain : l’exigence, le sens du détail, etc. C’est aussi s’accorder, pour le bien du golf, avec son directeur. Et sur ce point, Arthur se sait chanceux d’avoir une bonne relation avec le directeur Bruno Castel, garant d’une vision commune.
La vision du greenkeeping d’Arthur Lejeune : « Je suis complètement passionné par ce que je fais. Je ne changerai de métier pour rien au monde. Je n’ai pas l’impression de venir au travail le matin. C’est un très beau métier, un métier de passionné et de travailleur de l’ombre. Aujourd’hui, si un golf est beau et fonctionne c’est en grande partie grâce à l’équipe terrain. Pas seulement au greenkeeper. Le greenkeeper doit insuffler sa vision, ses idées, de manière positive à son équipe terrain. L’énergie positive de l’équipe d’entretien se reflète directement sur le parcours : lorsque chacun avance avec enthousiasme et dans la même direction, le terrain gagne en beauté et en harmonie, porté par une volonté commune d’amélioration continue. »
Massane, un projet écologique en pleine mutation florale
On ne présente plus Massane dans le monde golfique. Le site héraultais a une histoire avec le haut-niveau depuis sa création en 1988 par l’architecte Ronald Fream. Il est composé d’un parcours de 18 trous, l’Aller, et d’un 9 trous compact et d’un practice à étage de 24 postes. Depuis 1989, il est le premier site français à accueillir l’Académie David Leadbetter, référence mondiale dans la formation des joueurs de haut niveau.
En 2020, le groupe Eoden, groupe français spécialisé dans le développement durable, rachète le site, s’opère alors un virage stratégique vers le développement durable. L’inversion de flore, visant à installer une graminée plus résistante à la chaleur et aux maladies, s’inscrit pleinement dans la vision écologique du nouveau propriétaire.
Ce projet trouve ses racines dans l’observation de la nature à Massane. Le bermuda commun, présent bon gré mal gré, résistait chaque été. Sa petite sœur hybride s’implanterait forcément très bien elle aussi. Arthur Lejeune et Bruno Castel, le directeur du golf, ont défendu avec conviction ce projet devant le Conseil d’administration, qui l’a validé. L’intégralité des départs, fairways, semi-roughs et roughs seront convertis à l’été 2024 sur la partie retour (trous 10 à 18) du parcours.

Avant de se lancer pleinement dans la conversion de son parcours, Arthur Lejeune part observer ce qui a été réalisé au Camiral Golf & Wellness (anciennement PGA Catalunya) à Girone avec l’installation du paspalum sur les surfaces de jeu. Là-bas, il se rapproche du consultant David Bataller, expert des graminées en C4, un véritable « coup de cœur professionnel » qui portera ses fruits puisque les deux travaillent ensemble désormais. « Pendant cette visite, j’ai été bluffé par la pertinence de son discours, sa vision du greenkeeping et sa passion débordante pour son métier. J’ai tout de suite compris qu’il était aussi fou que moi et que nous devions travailler ensemble », se remémore Arthur Lejeune.

Une inversion de flore en deux phases
Le projet d’installation du Bermuda se déroule en deux phases. La première, dès septembre 2024, consiste en la réfection des buttes de bunker, fairways, départs, tours de green et du réseau d’arrosage sur les 9 premiers trous. La deuxième phase concerne les 9 autres trous.
L’intégralité du système d’arrosage a été refaite par l’entreprise Arrosage System avec un passage en hardline sur l’ensemble du golf, en back to back sur les greens et les extérieurs de green. Des arroseurs à vannes incorporées ont été installés sur l’ensemble du réseau, un clapet vanne sur chaque départ et green et certaines zones de fairway. Au total, pas loin de 1700 arroseurs ont été installés sur le golf, permettant de contrôler précisément les quantités d’eau apportées. « Nous avons aussi réalisé de gros travaux sur notre station de pompage. Après analyse de nos eaux, nous avons décidé d’installer la fertirrigation pour réduire le pH de l’eau et pouvoir fertiliser les zones de jeu par le biais d’engrais liquide », détaille-t-il. Une étape primordiale dans un contexte de gestion de l’eau compliqué. « Ces modifications vont permettre de réduire les consommations d’eau mais également de créer des couloirs écologiques afin de préserve la biodiversité sur le parcours », ajoute-t-il.
Lors de la deuxième phase des travaux, qui débute en mars 2024 et qui concerne la partie retour du parcours ( trous 10 à 18 ), l’intégralité des départs et des raquettes de green a été plaquée avec la Latitude 36, une variété hybride de Bermuda développée par l’Université de l’Oklahoma et distribuée en France par Covergarden, très résistante à la chaleur, à la sécheresse et à l’humidité tout en présentant un feuillage fin et esthétique. Au total, une surface de 20-25 000 m² a été plaquée. Les zones de placage se sont très vite installées et ont rapidement colonisé l’espace. « Le prestataire Botanica a fait un très bon travail. Le bermuda s’est bien infiltré. Le résultat est bluffant, sur certaines zones nous avons gagné un mètre alors que le placage n’a même pas un an », se satisfait Arthur Lejeune.

En fin de chantier, le bouturage des fairways a débuté en juin-juillet. Cette pratique est moins onéreuse que le placage mais plus risquée et fastidieuse. « Lorsque les boutures sont implantées, il faut les arroser. La terre doit presque dégorger d’eau telle une rizière. Il faut que ce soit humide pour que le bermuda puisse recrée des racines et des rhizomes », explique le surintendant. Le bouturage a duré une semaine entière, des dizaines de big bag remplis de Spriggs sont arrivés par camions réfrigérés.

En période de forte chaleur, la rapidité est primordiale. L’équipe de Novogreen travaille du matin au soir, pour répartir les boutures sur l’ensemble des surfaces. Une machine équipée d’un tapis et d’un rouleau est utilisée pour les grandes zones — fairways, semi-roughs et roughs.

À l’approche des greens, le travail se fait manuellement, pour préserver les zones sensibles. Au total, près de 12 hectares ont été bouturés sur la partie retour du parcours, incluant fairways, semi-roughs, roughs et buttes de bunkers. Le bouturage consiste ici à épandre des Spriggs : fragments de gazon (tiges, stolons ou rhizomes) déposés en surface, puis légèrement enfouis pour favoriser l’enracinement.

Dès que les boutures prennent, il est important de leur apporter de l’engrais. Mais sans fertirrigation (pas encore efficace à l’époque), la fertilisation des fairways bouturés a été un véritable casse-tête à Massane. Comment appliquer de l’engrais sur des zones constamment humides sur lesquelles il était quasiment impossible de marcher ? « Nous asséchions les fairways pendant 1-2 jours puis nous passions l’engrais avant d’arroser abondamment. C’était toute une gymnastique », explique Arthur Lejeune. Un nouveau passage de Spriggs a été réalisé en interne en plein mois d’août sur quelques fairways. Au fil des arrosages et des fertilisations, les boutures se rejoignent entre elles, jusqu’à former une surface dense et homogène, renforcée par des stolons.

Pour Arthur Lejeune, cette étape du bouturage restera à jamais symbolique. Frappé par une maladie grave qui l’a éloigné du projet pendant six mois, le surintendant s’était fixé la date du bouturage comme un cap à atteindre, un objectif professionnel porteur d’espoir qui l’a aidé à traverser la maladie. « Je venais parfois le soir, perfusé, entre deux opérations ou hospitalisations pour voir le golf, où il en était et comment il avançait, il me manquait et cela me faisait du bien de le voir » lance encore ému Arthur.
Afin de protéger les greens d’une invasion de bermuda, Arthur Lejeune a décidé de créer une barrière naturelle autour des greens. « Nous avons décidé de déplaquer les tabliers de green et de mettre de l’agrostis afin de créer une sorte de barrière végétale où le bermuda et l’agrostis vont entrer en compétition perpétuelle. C’est pour moi le meilleur moyen de laisser le bermuda loin des greens », explique-t-il, conscient toutefois que cette stratégie devra être reconduite à court terme. « L’agrostis fait des stolons, elle vit en été mais elle est moins puissante que le bermuda donc nous verrons la suite », ajoute-t-il.

Après le bouturage, la volonté de l’équipe était d’harmoniser les tees et les tours de tees. Pour cela, Massane a fait appel à la société Green Art pour faire de l’hydroseeding avec une autre graminée en C4, plus claire : la Gobi. L’hydroseeding ou hydro-ensemencement est une technique d’ensemencement par projection hydraulique. Cette pratique consiste à pulvériser au sol un mélange composé de graminées, d’eau, d’amendements, de fibres de bois et de liants ou agents fixant. « Au bout de 8-10 jours les graminées ont commencé à germer », complète-t-il.
Gestion et impacts de l’inversion de flore
Ce changement de paradigme végétal a bouleversé l’organisation du travail sur le terrain. « Entre fin octobre 2024 et début avril 2025, aucune tonte n’a été réalisée sur le Bermuda. Les tondeuses sont restées à l’atelier. Nous avons pu réajuster notre emploi du temps pour effectuer du divoting sur l’ensemble des fairways durant l’hiver — et cela porte ses fruits : le Bermuda repart mieux dans les zones que nous avons sablées », explique Arthur Lejeune.
Naturellement, la gestion des graminées en C4 diffère de celle des C3 : les hauteurs de tonte sont différentes, la fertilisation est réduite, les sablages sont plus réguliers, le calendrier des opérations mécaniques n’est pas le même. « Il faut travailler le bermuda mécaniquement lorsqu’il redevient vigoureux, vers mai-juin », explique le surintendant. Un agenda nouveau qui nécessite de s’adapter car la fenêtre d’opérations mécaniques correspond à la pleine saison.
De façon plus générale, l’implantation du bermuda satisfait déjà Arthur Lejeune. « La mise en place du Bermuda nous a permis de dégager du temps pour monter en gamme sur le parcours », résume-t-il. Un constat qui fait écho aux bénéfices observés avec l’arrivée des robots de tonte : gagner du temps pour se recentrer sur la qualité. La prochaine étape sera de se concentrer sur l’expansion du bermuda, les zones entre les roughs et le fairway seront fertilisées pour atteindre une homogénéité en C4. Le gain de temps sera consacré à l’amélioration des abords.
Les clés de réussite de l’implantation du bermuda selon Arthur Lejeune :
- Bon arrosage
- Bonne fertilisation
- Bonne préparation des sols
- Une équipe sur le qui-vive
Pigments et peinture pour gérer la dormance
La mise en place du bermuda implique une période de dormance durant laquelle la graminée entre en pause végétative. Son feuillage vire au jaune/brun, un phénomène naturel inévitable auquel les golfeurs ne sont pas encore acculturés.


Il est important de bien appréhender cette étape décisive en préparant le gazon en amont (sablages) pour éviter l’invasion de paturin annuel. Concernant l’aspect esthétique, des pigments naturels ont été appliqués au début de la dormance, mélangés à des agents mouillants, lorsque la plante est assez forte pour assimiler la chlorophylle. La pigmentation est une tâche qui nécessite une grande rigueur, il faut maintenir un débit régulier.
Ce changement culturel est toutefois loin d’être acquis. Le monde du golf ne semble pas encore prêt à accepter qu’avec le changement climatique, un parcours ne peut plus être vert en permanence, notamment dans le Sud de la France. Et bien qu’Arthur Lejeune et son équipe aient trouvé un moyen de gommer les « défauts » de la dormance, l’aspect esthétique n’est pas la chose la plus importante pour le surintendant. « Il y a une phrase de mon ancien intendant à Granville, Florian Jossolme, que je retiens : on s’en fout que ça soit beau, il faut que ça soit bon. Nous travaillons pour les golfeurs, ce n’est pas notre jardin ici. Nous devons offrir les meilleures conditions de jeu possible : un bon port de balle, une bonne planimétrie, un équilibre entre humidité et sécheresse, un bon rapport terre/air/eau, une bonne roule… C’est tout un équilibre à trouver », estime-t-il. Mais ce n’est pas (encore) l’avis de tous les golfeurs.

Pour preuve, les retours sur le parcours de l’Aller sont mitigés : certains apprécient, d’autres sont très réticents. Il faudra surement du temps, et énormément de communication, pour faire changer les choses. Mais cela fait partie du risque pris par Massane en prenant ce grand virage rempli d’enjeu. « Nous avons osé innover, nous avons osé prendre des risques, nous avons osé nous engager dans cette transition que nous pensons fiable et indispensable pour répondre aux enjeux de demain. Loin des standards figés d’autrefois, le golf moderne doit s’adapter aux réalités climatiques. Il est temps de privilégier la jouabilité et la performance du parcours plutôt qu’une apparence immuable. L’évolution fait partie du jeu, acceptons ces changements pour garantir un avenir durable au golf », conclut-il.
Il est possible de trouver une certaine poésie dans cette évolution des pratiques culturales. Le mois d’avril n’était sans doute pas la saison où Massane se montre sous son visage le plus éclatant. Mais cette période de transition, où le Bermuda renaît doucement, offre un spectacle naturel singulier. Un parcours en mouvement, comme un tableau vivant qui évolue au rythme des saisons, au souffle des graminées. Et la promesse, en creux, qu’un retour à une autre période révélera un visage tout autre. Une poésie discrète, celle d’une mutation qui nous rappelle que le golf, avant d’être un sport, est une affaire de nature.