Romain Pabbruwee et l’expérience italienne au Viola Park

Catégorie : Pratiques

Récemment nommé responsable des terrains du centre d’entrainement de la Fiorentina, le Viola Park, Romain Pabbruwee nous raconte son parcours qui l’a entre autres mené en Angleterre, à Bordeaux pour finalement atterrir en Italie. Un pays où la culture des graminées est bien particulière.

Peux-tu te présenter ?

Je suis Romain Pabbruwee, j’ai 33 ans, et je suis le responsable des terrains d’entrainement de la Fiorentina au Viola Park.

 

Quel a été ton parcours scolaire ?

J’ai commencé au CFPPA de Dunkerque où j’ai fait un BEP Bac Pro avant de faire un BTS et une licence Terrains de Sport à TECOMAH. Je suis ensuite parti en MOVIL’APP, une sorte d’Erasmus de l’apprentissage, aux Pays-Bas, pendant 6 mois. Là-bas, j’ai travaillé pour une entreprise d’entretien de terrains de sport, VGR, qui m’a envoyé au golf The International pour participer à une étape du Ladies European Tour. VGR s’occupait également de l’entretien des terrains de football, dont celui du club professionnel NAC Breda.

Ensuite, je suis retourné en France, où j’ai enchainé la maintenance au sein de plusieurs entreprises pendant 2 ans. Puis je suis parti en Nouvelle-Zélande où j’ai travaillé durant au Remuera Golf Club d’Auckland. A la fin de mon visa, j’ai rejoint mon frère, Yann Pabbruwee (aujourd’hui Head Groundsman de Perpignan) au St Georges Park, le centre national d’entrainement de l’équipe d’Angleterre, puis j’ai travaillé de nouveau en Nouvelle-Zélande pendant 6 mois avant que le Covid ne vienne bouleverser le monde. Lors de ma deuxième année en Nouvelle Zélande, j’ai participé au NZ Amateur qui se tenait au Remuera Golf Club, où je travaillais.

A mon retour en France, j’ai eu l’opportunité de travailler pour Sportingsol au Matmut Atlantique Stadium de Bordeaux où j’étais Head Groundsman. Ce n’était pas facile, il fallait gérer les demandes d’iTurf, celles du stade et celles de Sportingsol, mais ç’a été trois années fantastiques pour moi lors desquelles j’ai rencontré des gens extraordinaires.

 

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Comment t’es-tu retrouvé en Italie ?

En 2022, je souhaitais retenter une expérience à l’étranger. J’ai eu un contact en Italie et j’y suis parti en mars 2023. En arrivant en Italie, j’ai travaillé durant quelques semaines au centre d’entrainement de Trigoria qui accueille les équipes de l’AS Roma, pour le compte de l’entreprise Rappo. J’avais convenu avec cette entreprise de faire un essai à Rome.

 

Les débuts ont dû être très difficiles ?

Les débuts étaient difficiles, je ne parlais pas un mot italien. J’ai eu la chance de pouvoir parler anglais à Rome, j’ai réussi à me débrouiller. C’était un très gros challenge. Au début, on m’a donné pour principale mission de faire de la remise de tacles. Je n’arrivais pas en conquérant avec une étiquette de responsable comme je l’avais été à Bordeaux, j’étais un jardinier comme les autres. J’ai donc fait la reprise de tacles, qui est tout de même une opération importante bien que rébarbative, du désherbage de massifs, etc. Il y a eu des moments assez durs.

 

Après cet essai à Rome, tu prends de nouvelles fonctions à Florence ?

Tout à fait. Après deux semaines et demie à Rome, je suis parti pour Florence. Ce n’était pas prévu, je devais rester 3 mois à Rome pour apprendre la langue avant d’y occuper un poste de responsable. C’est finalement à Florence qu’on me propose un poste de responsable dans le tout nouveau Viola Park de la Fiorentina.

Je suis arrivé à Florence début avril, tout était encore en construction. Les terrains n’étaient même pas encore sortis de terre. L’une de mes premières missions a été de planter des iris (rires). En Italie il n’y a pas de séparation entre les tâches à effectuer sur les terrains et les espaces verts.

 

A son arrivée à Florence, Romain Pabbruwee a la surprise de constater que les terrains ne sont pas encore prêts.

Je m’attendais à ce qu’il y ait davantage de choses prêtes. Il n’y avait aucun bâtiment, rien. En l’espace de 7 mois, tout a poussé. J’ai alors pu me consacrer à l’entretien des 4 terrains en bermuda-grass, mais j’étais seul, ma future équipe n’était pas encore formée. Lorsque les équipes et le staff ont foulé la pelouse pour la première fois cet été, ç’a été une délivrance. Nous avons énormément travaillé pour y arriver, j’ai dû travailler 600 heures en 2 mois, sortir 3 terrains en un mois… C’était intense, mais c’était une sacrée expérience !

En quelques semaines (juin sur la photo) les pelouses sont sorties de terre.

As-tu eu ton mot à dire concernant la composition des terrains ?

Non, tout était déjà enclenché. Je n’étais là que pour suivre la maintenance des terrains dès lors qu’ils étaient prêts, avec l’aide d’un agronome.

 

Peux-tu présenter précisément le centre d’entrainement de la Fiorentina ? (Pelouses, technologies, climat)

Le Viola Park couvre au total 22 ha. On y retrouve 12 terrains : 4 synthétiques, 8 naturels dont 5 en bermuda-grass et 3 en kentucky bluegrass (paturin américain). Au total, 19 équipes utilisent les terrains toutes les semaines.

Vue aérienne du Viola Park.

 

Quel est le climat à Florence ?

Les étés sont extrêmes rudes. Cet été par exemple, nous avons eu des températures avoisinant les 50°C ! L’hiver, elles peuvent descendre à -10 °C, il y a une grande amplitude thermique.

Il semble y avoir une approche différente en termes de graminées en Italie…

Il y a énormément de différences à ce niveau entre la France et l’Italie. Et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles je suis venu en Italie : ils ont une véritable culture du bermuda, des graminées en C4. Ils sont beaucoup plus au fait qu’en France à ce sujet, et j’ai déjà beaucoup appris. C’est une plante qui demande peu d’arrosage, des engrais très basiques. Le seul inconvénient est la nécessité de scarifier en permanence. Au Viola Park, nous scarifions presque tous les mois car c’est une graminée qui pousse en permanence. Quant au kentucky bluegrass, c’est une variété américaine de pâturin des prés (poa patensis) qui résiste mieux à la chaleur.

Ce type de graminée en C4 nécessite également de réaliser une inversion de flore. Tous nos terrains en bermuda-grass ont été passés en Ray-grass tétraploïde en septembre/mi-octobre. Il ne faut pas que les températures soient trop élevées ou trop basses pour que le Ray-grass s’installe rapidement. En mai, ils repasseront en bermuda-grass. Le bermuda pousse normalement au-dessus de 12-14°C, mais pour faire la transition en Ray-grass, il ne faut pas qu’il fasse trop chaud ou trop froid. A Florence, nous étions entre 12 et 25°C en moyenne en septembre-octobre. Avant le scalpage, nous appliquons un régulateur de croissance afin de réduire la vigueur du gazon, puis nous semons et nous sablons avant de fertiliser.

Ces travaux durent quasiment trois semaines par terrain, il est donc primordial de bien organiser les rotations entre les terrains pour que tout le monde puisse s’entrainer.

J’ai constaté que les terrains en bermuda-grass offrait une tenue impressionnante du fait des rhizomes. La pelouse ne bouge quasiment pas, et lorsque l’hiver arrive, le terrain en bermuda bénéficie d’une armature solide avec ses racines. C’est assez impressionnant.

 

C’est la première que tu gères plusieurs terrains, comment le vis-tu ?

C’est assez stressant. On y pense tous les jours. J’échange beaucoup avec mes collègues. Je n’ai pas spécialement peur d’avoir des responsabilités. Sur le papier c’est effrayant, mais sur le terrain ça se fait naturellement.

 

N’est-ce pas difficile de gérer des terrains nouveaux, sans historique de maladies ?

J’ai mon expérience personnelle sur laquelle je m’appuie. Je consulte également souvent mon agronome. Dès qu’il y a un début de maladie nous la traitons toute de suite. Il y a une forte dose d’inconnue étant donné qu’il s’agit de nouveaux terrains, mais aussi une forte dose d’apprentissage, c’est stimulant. Et c’est pour cela que je suis venu.

 

Aujourd’hui, que ce soit au niveau de la langue ou de ton équipe, tout est opérationnel ?

Je maitrise la langue dorénavant. Mais c’était difficile au début. Je faisais répéter les questions, parfois à plusieurs reprises, pour être sûr de bien comprendre. Quant à l’équipe, aujourd’hui, nous sommes 10 salariés pour tout le centre. Mais là aussi c’était laborieux au début car personne n’avait jamais travaillé sur les pelouses sportives. J’ai dû entièrement les former. C’était aussi une dose de stress en plus car je devais toujours garder un œil sur les opérations réalisées. Maintenant ça va beaucoup mieux, je fais entièrement confiance à mon équipe.

 

A quelles problématiques as-tu été confronté à Florence ?

Lors de la construction des terrains, il y a eu un manque crucial d’eau : tout devait être arrosé, espaces verts comme terrains. Heureusement je n’étais pas seul à gérer et il n’y avait pas de restriction. Je n’ai pas eu d’attaque de maladie considérable encore. La seule maladie que j’ai vue pour l’instant est la Necrotic Ring Spot.

Necrotic Ring Spot : D’après la Colorado State University, la tache annulaire nécrotique est une maladie vivace qui attaque le pâturin des prés. Ses symptômes se développent sous la forme d’anneaux clairs à couleur jaunes. Ils se développent souvent fin juillet, août. La maladie est causée par le champignon Ophiosphaerella korrae présent dans le sol, qui à terme colonise les racines et les empêche d’absorber l’eau et les nutriments.

Cette maladie se traite assez bien en acidifiant les sols, sans produit phytosanitaire, mais dès qu’il y en a trop il faut appliquer un fongicide.

 

D’où vient l’eau du centre d’entrainement ?

Elle est principalement issue de la récupération des eaux de pluie. Dès lors qu’il en manque, il est possible d’arroser avec l’eau de la ville.

 

Globalement, comment juges-tu la filière italienne ?

Je dirais qu’elle arrive à s’en sortir avec ses moyens. Il y a peu de gens qualifiés, mais ceux qui le sont sont très compétents. Le métier n’est pas vraiment respecté en Italie.

 

Quels enseignements tires-tu de cette nouvelle expérience ?

J’ai vraiment connu des périodes difficiles à mon arrivée, entre l’obstacle de la langue, la solitude, la chaleur… J’ai frôlé la rupture mais finalement les choses se sont tassées. Jamais je n’aurai pensé puiser aussi profond en moi pour relever un défi ! C’est très enrichissant !

 

Corentin RICHARD

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