Marc Tomei (Makila Golf Club) : « Je ne peux qu’être inquiet pour la filière »

Catégorie : Pratiques

A seulement deux ans de sa retraite, Marc Tomei, intendant de parcours historique du Makila Golf Club, est revenu sur sa carrière, sa vision de la profession, et a livré un regard sur l’avenir de la filière. Ce passionné du métier est inquiet pour les prochaines générations de greenkeepers.

Le temps passe au Makila Golf Club, et si bien des choses ont changé depuis la création du golf à Bassussarry en 1989, un homme semble résister aux changements : Marc Tomei. Celui qu’on surnomme « Marco » occupe le poste d’intendant de parcours depuis la création du golf. Une fidélité à tout épreuve, l’aventure d’une vie lors de laquelle il aura vu le golf grandir, changer, et toute la filière évoluer. Pour le meilleur mais aussi pour le pire. Cet intendant chevronné livre, humblement, ses souvenirs d’antan et ses inquiétudes de demain.

 

Son histoire au Makila Golf Club

Marc Tomei a aujourd’hui 61 ans. Son aventure dans le monde du golf débute en 1986, au Golf de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées, où il fait son alternance dans le cadre de sa formation de greenkeeper au Lycée de Neuvic. « J’ai toujours été proche de la nature et j’ai toujours souhaité travailler en extérieur. Je désirais rejoindre l’ONF alors j’ai fait 2 ans d’école forestière. Il n’y avait pas de débouché. Je suis allé faire l’armée, et en revenant j’ai commencé à travailler en tant que jardinier au Golf de Lannemezan, où travaillait ma mère, en 1986 », raconte-t-il. Deux années et un diplôme en poche plus tard, il réalise l’un de ses rêves : partir vivre dans le Pays basque, où il rejoint le Makila Golf Club en pleine construction sur un terrain de 150 ha. Ce golf, dont le nom fait référence à un bâton de marche doublé d’une arme et à une compétition de golf locale très réputée, est fondé par Jean Lecouls, chef d’entreprise, et dessiné par l’américain Rocky Roquemore. Le jeune « Marco », âgé de 28 ans, participe à l’époque à toutes les réunions de chantier et à la construction. Il se remémore les 80 personnes qui travaillaient sur le golf lors des travaux, les échanges en anglais parfois difficiles avec l’architecte, les pelleteuses embourbées lors des grosses pluies en raison d’un sol très argileux, etc.

33 ans après, le Makila Golf Club a bien grandi. Les 450 membres présents les premières années sont désormais 820 après l’effet Covid. En moyenne, 200 golfeurs foulent les 18 trous tous les jours. Et les machines ne s’embourbent plus sur le parcours lors des grosses pluies. « Nous avons très rapidement réalisé des drainages en interne avec ce sol très argileux. A l’époque, j’avais consulté un expert : Claude Bourguignon, qui m’avait conseillé de changer la structure et la texture du sol pour l’améliorer. Cela fait 25 ans que j’apporte 24 tonnes d’amendement organique sur le parcours, je n’ai pas attendu l’éveil écologique pour cela. En plus de ces amendements, j’apporte entre 200 à 300 tonnes de sable sur les fairways chaque année depuis 15 ans. A l’époque, lorsqu’il pleuvait beaucoup, nous nous enfoncions dans le sol. Aujourd’hui, lorsqu’il pleut des cordes, nous arrivons quand même à tondre » explique Marc Tomei. Le travail paye.

 

Les fairways boueux lors des pluies se sont progressivement transformés en fairway avec une bonne capacité de rétention. Sur la deuxième photo : un fairway au Makila après 180mm de précipitation en 10 jours.

Une filière en perpétuelle évolution

Ce passionné du gazon n’a pas seulement vu le Makila Golf Club évoluer, mais bien toute la filière. En près de 40 ans de carrière, les choses changent forcément. Marco a connu l’âge d’or du golf en France, des années 1985 à 2000, où les parcours ont fleuri sur tout le territoire. Il connait aujourd’hui des jours moins dorés où les intendants doivent faire face à de nombreuses contraintes.

Mais avant ces contraintes, Marc Tomei a connu les innovations techniques, technologiques, mécaniques. Presque nostalgique, il compare les machines d’aujourd’hui à celles qui sont présentes sur les photos de son rapport de stage de 1988, qu’il garde précieusement dans son bureau. « Les moyens matériels étaient bien différents. J’ai connu des générations et des générations de machines. Je travaillais avec des éléments trainés dont les cylindres tournaient à la vitesse du tracteur. Ça marchait malgré tout ! En matière de matériel et de mécanique, par rapport à ce que j’ai connu, il y a un gain de temps, de confort, bien sûr. A l’époque, nous mettions une semaine pour aérer 18 greens », se remémore-t-il. Aujourd’hui, le parc matériel du Makila Golf Club est à la page, et compte notamment deux tondeuses à green électriques et plusieurs tondeuses hybrides. L’intendant a suivi toutes les avancées technologiques lui permettant d’améliorer son parcours.

Marc Tomeï se replonge en 1988 avec son rapport de stage. Le matériel était bien différent.

Les progrès n’ont pas seulement été mécaniques et technologiques. La sécurité des intendants et des greenkeepers a augmenté. « Autrefois, nous utilisions des produits phytosanitaires qui étaient beaucoup plus dangereux qu’aujourd’hui, nous avions peu d’EPI. Tout a changé. Nous sommes passés à une réglementation beaucoup plus stricte. Nous sommes un peu passés d’un extrême à l’autre », reconnait-il.

Être intendant de parcours nécessite une capacité d’adaptation importante et constante tant ce métier évolue. Et ce n’est par Marc Tomei qui vous dira le contraire. Mais avec son expérience, ce dernier a appris que certaines choses restaient immuables. « L’intendant ne réussit que si on lui donne les moyens de réussir. Il n’y a pas de mauvais intendant, nous sommes tous des passionnés par notre métier », affirme-t-il. Problème aujourd’hui : les moyens ne sont pas toujours mis à disposition aux intendants et le seront peut-être de moins en moins au vu des tournants pris par la filière…

 

Des grandes inquiétudes pour l’avenir

Les pages de son passé étant désormais refermées, l’intendant du Makila Golf Club laisse transparaitre beaucoup d’inquiétudes au moment d’aborder l’avenir du métier. Marc Tomei est inquiet non pas pour lui, il ne lui reste que deux ans avant la retraite. Mais pour ceux qui restent et les jeunes qui arrivent alors que la loi Labbé, les restrictions d’eau, le réchauffement climatique et d’autres soucis planent comme une ombre sur les golfs. « Nous allons devoir faire autant mais avec moins, avoue-t-il. Les soi-disant hautes instances voudront garder les mêmes standings. Nous les intendants, nous aurons en revanche beaucoup plus de contraintes : moins de produits efficaces, réchauffement climatique, restrictions d’eau, lois inappropriées… Ce n’est pas parce que nous allons passer en Zéro Phyto que la qualité des parcours devra baisser. Ça, personne ne l’acceptera ! Ni les golfeurs, ni les directions ». Pour lui, l’exigence des golfeurs ne changera pas, à moins d’une très grande campagne d’informations de la Fédération. « Ils regardent à la télé les tournois sur des parcours américains qui n’ont, soit dit en passant, pas du tout les mêmes réglementations que nous. Ils nous font des remarques par rapport aux golfs américains et demandent la même qualité », lance-t-il.

L’expérimenté intendant a un avis bien tranché sur l’entretien des golfs en Zéro Phyto, qui devra être effectif d’ici 2025. « Ici, nous sommes dans une région avec un climat océanique, chaud et humide. Avec un climat pareil, un taux d’humidité permanent, le zéro phyto est impossible. A certaines périodes de l’année, les températures ne baissent pas durant la nuit », explique-t-il. Sans être convaincu, il tente tout de même de trouver des alternatives, utilise des nématodes, biostimulants ou multiplie les opérations mécaniques par exemple, « mais les opérations mécaniques ne résoudront pas tout si on nous prive de produits efficaces » tempère-t-il. Avant d’ajouter qu’intendants et greenkeepers, « tiraillés entre une exigence de qualité à fournir et des freins très importants : freins politiques, réglementations, absence de consultation de la part des ministères et de la FFG, freins climatiques… », sont tous dans l’attente de ce qui va arriver en 2025.

Comme si cela ne suffisait pas, la filière a dû faire face à de multiples actes de vandalisme. L’image des golfs s’en est vue dégradée, et certains politiques n’y sont pas innocents selon Marc Tomei. « Certains politiques donnent des informations erronées sur nos consommations. C’est une honte ! Quel golf arrose 5000 m3 par jour ? Comment des politiques peuvent-ils s’amuser à dire des choses pareilles ? », s’agace-t-il. Le Makila Golf Club, tout comme les golfs basques en général, n’a pas été touché par les actes de militants écologistes. Des actions que l’intendant jugent comme inappropriées et poussées par un manque criant d’informations justes. « Informez-vous, venez-nous voir avant d’agir ! » leur adresse-t-il.

Le tableau est tacheté de nombreux problèmes, de quoi nourrir l’inquiétude de Marc Tomei pour certains golfs et certains homologues. « Je crains qu’avec tous ces paramètres négatifs, certains collègues subissent des pressions importantes pour offrir un parcours de qualité sans en avoir les moyens. Je suis très inquiet pour la profession. Je pense, malheureusement, qu’il y aura de plus en plus de renvois, voire de burn-out. Je me demande également si certains petits golfs pourront survivre dans cette situation. Nous apprenons que certains golfs ferment déjà, c’est du jamais vu », regrette-t-il. La conjoncture actuelle l’interroge également sur les générations de greenkeepers qui vont prendre le relais, alors que la filière a de grandes difficultés à attirer et recruter. « Est-ce que les jeunes seront capables de supporter la pression que nous avons aujourd’hui ? Avec toutes ces contraintes, y aura-t-il la même motivation ? C’est un grand point d’interrogation. Je leur souhaite en tous les cas bien du courage ! », dit-il.

Vous l’aurez deviné, Marc Tomei n’est pas très optimiste pour la suite. « Je ne peux être que pessimiste pour l’avenir de la filière. Réglementation prise sans consultation, réchauffement climatique, inversion de flore, pression des directions et des clientèles… Les problèmes sont nombreux. Ce beau métier d’intendant va énormément évoluer. Souhaitons à la génération qui va nous remplacer la même motivation que nous avons eue et le même amour pour notre profession ! », conclut-il.

 

L’heure du bilan pour Marc Tomei

A ses 62 ans en juillet 2025, Marc Tomei prendra sa retraite. Quel bilan tire-t-il de sa carrière ? « J’ai fait deux golfs dans ma carrière. Si je devais recommencer, je ferai le même métier mais en voyageant plus. Je ne regrette rien. J’ai fait ce métier par passion et conviction. Je me suis éclaté », lance-t-il sourire en coin.

Ses nombreuses années dans le monde du golf lui auront permis de travailler avec de nombreuses personnes, pas toujours compétentes. Et si aujourd’hui les rapports avec son directeur Stéphane Flamand sont bons, cela n’a pas toujours été le cas avec d’autres. « J’ai rencontré, au cours de ma carrière, des directions totalement incompétentes. C’est dur à encaisser, nous avons la pression et parfois des gens incompétents qui nous dirigent », lâche-t-il, avant de rappeler ô combien le binôme directeur/intendant est primordial et doit être solidaire pour la bonne gestion d’un golf.

Il en profite également pour parler des commissions terrains qu’il a pu rencontrer, « un véritable fléau pour le greenkeeper ». « Des gens qui n’y connaissent rien viennent nous dire qu’il faut que les greens roulent plus, soient plus fermes, etc. Certains collègues ont été licenciés à cause de commissions terrains totalement incompétentes », regrette-t-il. Un peu comme à la manière d’un entraineur de football ou de rugby lorsqu’une équipe va mal, l’intendant est devenu le premier fusible à faire sauter lorsque la qualité du parcours connait des difficultés.

Cette parenthèse étant refermée, Marc Tomei revient sur sa carrière. Est-il fier de ce qu’il a réalisé pendant près de 40 ans ? Pas nécessairement, l’ancien rugbyman, fan inconditionnel du Biarritz Olympique, reste fidèle aux valeurs de l’ovalie : « Faisons toujours preuve d’humilité ! », conclut-il. Une qualité qui pourrait être nécessaire avant d’aborder des chemins qui s’annoncent bien sinueux. Marc Tomei suivra cela avec un regard de passionné, depuis la bergerie qu’il vient d’acquérir dans ses Hautes-Pyrénées natales, et en ressassant d’agréables souvenirs, non sans nostalgie : les folles soirées de l’AGREF que tout le monde attendait, les voyages d’étude aux Etats-Unis, et tous ces échanges que l’association a permis de créer.

Corentin RICHARD

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