Frédéric Cahay (Centre National Belge) : « Nous ne faisons clairement plus le même métier »

Catégorie : Paroles d’experts

Présent à l’occasion des 48h du Gazon Sport Pro 2023, Frédéric Cahay a accepté de répondre à nos questions concernant le contexte dans lequel les groundsmen belges doivent travailler depuis 2018 et l’interdiction d’utiliser des produits phytosanitaires. Un changement total de paradigme qui a forcé la profession à se réinventer.

Frédéric Cahay lors de la table ronde sur la transition écologique des stades et des centres d’entrainement lors des 48h du Gazon Sport Pro 2023.

A l’occasion des 48h du Gazon Sport Pro 2023, Frédéric Cahay, Grounds Manager du Centre National Belge de Tubize, participait à la table-ronde sur les stades et les centres d’entrainement face au zéro phytosanitaire. Sur la scène, aux côtés de Carlos Venegas (FC Séville), Christian Gambini (Inter Milan) et Peter Klaus Sauer (Bayern Munich), le groundsman belge était le seul à être confronté à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques. En effet depuis 2018, une partie de la Belgique n’a plus le droit d’utiliser de pesticides. Une restriction qui englobe très largement de nombreux produits, quasi tous, « même les produits utilisables en culture biologique ne sont tolérés qu’au cas par cas, ce qui est un non-sens absolu puisque nous ne consommons pas le gazon », affirme le groundsman belge.

Du jour au lendemain, Frédéric Cahay a vu son métier changé du tout au tout. Diplômé en agronomie, il travaille dans le monde du golf depuis 22 ans et presqu’autant dans celui du football en tant que Head Greenkeeper, Head Groundsman et consultant. Également formateur depuis plus de 10 ans pour le FOREM (office wallon de la formation professionnelle, l’équivalent de Pôle Emploi) pour la gestion des terrains engazonnés, il gère aujourd’hui les terrains du Centre National Belge de Tubize où il peut mettre à contribution ses 10 années d’expérience dans la gestion des terrains de sport en 0 phyto.

Le Centre National Belge : des terrains flambants neufs en 0 phyto

Le Centre National Belge est l’équivalent de Clairefontaine pour les Diables Rouges depuis 2016. Il accueille toutes les sélections nationales. Construit en 1998, il était initialement composé de trois terrains naturels, deux terrains synthétiques et un petit terrain couvert. Il a depuis connu de nombreuses évolutions, avec notamment une réhabilitation totale entamée en 2014. Dès 2016, il devient le camp de base officiel de la sélection belge. En juillet 2020, une nouvelle plaine de jeu de 2,5 ha est construite. Deux mois plus tard c’est le bâtiment de la Belgian FA qui est érigé. En novembre 2022, la nouvelle plaine de jeu est entièrement stitchée tandis qu’en février 2023, le terrain numéro 1 a été entièrement rénové avec la construction d’une nouvelle tribune.

Le site de 13 ha dans sa totalité est composé de :

  • 2 terrains naturels terre/sable
  • 3 terrains et demi stitchés avec la technologie Grassmax
  • 2 terrains synthétiques fraichement rénovés aux dernières normes avec un remplissage naturel
  • 1 petit terrain synthétique couvert

Pour entretenir ces 13 ha, Frédéric est épaulé par 4 personnes. Toutes les grosses opérations sont externalisées.

Une anticipation en vain et une filière démunie

Si certains, en Belgique, ont vécu cette interdiction comme un véritable couperet, ce n’est pas le cas de Frédéric Cahay, qui tentait d’anticiper la situation depuis 2014. « Nous avions anticipé cette législation en effectuant des tests grandeur nature et en se renseignant sur différentes techniques et bonnes pratiques. Nous avions entamé des tests depuis 2014 en golf et 2016 en football. Le tout en essayant de négocier un délai pour l’application de la loi dans le sud de la Belgique. Sans succès », regrette-t-il. Sans solutions et démunis, la filière se trouve alors « face à un mur », avec la nécessité urgente de « se réinventer ». « Nous ne faisons clairement plus le même métier. Nous éprouvons de grandes joies quand nous trouvons des bouts de solutions mais cela ne compense pas l’énorme pression que nous recevons de la part des utilisateurs quand les choses tournent mal. Et dans cette phase d’apprentissage contrainte et forcée, nous ne connaissons pas encore toutes les réactions du gazon en fonction des conditions atmosphériques et environnementales », ajoute le groundsman.

Dans ce contexte, Frédéric Cahay et ses équipes tentent, testent, et sont à l’écoute des nouveautés et des innovations. Il faut quoi qu’il arrive sortir des sentiers battus. « Nous essayons de collaborer avec différents fournisseurs innovants afin de discuter de nouvelles méthodologies, de nouveaux produits, de nouveaux instruments de mesure… », confie-t-il. Mais sans solutions concrètes, la filière belge semble démunie. Encore plus dans un contexte de dérèglement climatique. « Nous sommes désormais encore plus tributaires de la météo, du type de construction et de l’environnement des terrains qu’avant. Nous pouvons avoir plusieurs années avec des résultats encourageants et tout perdre suite à des conditions climatiques exceptionnelles. Et ces conditions ont tendance à se répéter ces dernières années », constate-t-il. Il y a tout de même des progrès et des raisons d’être enthousiaste, surtout sur les terrains de football. « Là où dans le football, les résultats sont pour l’instant assez stables et encourageants, il en va tout autrement dans le monde du golf où le gazon est soumis à beaucoup plus de stress lié à la tonte courte et à l’environnement très variable des greens », explique celui qui était il y a peu superintendant du golf de Naxhelet.

 

Quelles perspectives pour les groundsmen belges ?

La solution miracle n’existe pas. Et si les produits qui semblaient s’en approcher sont désormais interdits, les professionnels doivent désormais actionner, en préventif, une multitude de leviers pour trouver leur solution. « La clé est de travailler en amont des problèmes en retravaillant les substrats des terrains, en amenant de l’air et de la lumière, en gérant l’hygrométrie des substrats, en gérant le type et la quantité d’engrais en fonction des conditions, en appliquant des biostimulants, en choisissant des variétés résistantes, en stimulant la vie bénéfique des sols… Ce sont les techniques de base, mais les maitriser et les adapter à chaque terrain demande beaucoup de pratiques et de réflexions », affirme Frédéric Cahay.

Un retour aux sources qui remet donc l’agronomie au cœur du métier mais qui peut être également complété par de nouvelles technologies telles que les collecteurs de données, les algorithmes prédictifs… « Nous commençons à collecter beaucoup de datas pour corréler les attaques de maladies avec des facteurs biotiques et abiotiques. Les résultats sont parfois étonnants. Nous recherchons en permanence de nouvelles technologies et tentons de les incorporer à une méthodologie cohérente. Il n’existe pas (plus) de produit miracle. Nous devons travailler avec toutes les briques à disposition pour construire un mur de protection solide. Nous ne sommes malheureusement pas encore prêts à affronter tous les cas de figure », conclut-il. Une posture qui pourrait inspirer la filière française, qui, contrairement à ses voisins belges, a la chance d’avoir une période de transition pour pouvoir trouver des solutions.

Corentin RICHARD

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