Etude sur la présence de fibres synthétiques dans les eaux fluviales et maritimes

Catégorie : Recherche & innovation

L’Université de Barcelone a mené une étude cet été sur la présence de fibres synthétiques issues des terrains de sport artificiels dans les eaux maritimes et fluviales au large de Barcelone et de Séville.

Savons-nous tout sur l’impact écologique des gazons synthétiques ? Pas encore. Preuve en est, plusieurs études sont menées pour déterminer les conséquences que peuvent avoir ces terrains artificiels sur notre environnement. Et si les billes de remplissage ont d’abord attiré l’attention des chercheurs, des médias et des institutions, plus rares sont ceux qui se sont attardés sur les fibres synthétiques qui composent ces terrains. C’est notamment le cas de William de Haan, chercheur à l’Université de Barcelone, accompagné de 6 homologues espagnols, qui ont signé l’étude de recherche The dark side of artificial greening: Plastic turfs as widespread pollutants of aquatic environments,
(Environmental Pollution, Volume 334, 2023, 122094.)

Leur hypothèse de base est simple : « Compte tenu des tendances croissantes d’utilisation et de production de pelouses synthétiques et de fuites de plastiques dans l’environnement, nous émettons l’hypothèse que les fibres de gazons artificiels sont des polluants largement répandus dans les eaux de surface des rivières et des mers et prévoyons que leurs fuites dans les environnements aquatiques sont provoqués par des événements pluvieux qui jouent un rôle dans la dispersion du gazon artificiel dans l’environnement par le biais des systèmes d’eau de drainage ou des cours d’eau à proximité », peut-on lire au sein de l’article « La face cachée de la végétalisation artificielle : les gazons synthétiques comme polluants répandus des milieux aquatiques » paru dans Environnemental Pollution, Volume 334, 1er Octobre 2023.

 

Matériel et méthodes

Les 7 chercheurs espagnols ont analysé 217 échantillons d’eau collectés au large de Barcelone et 200 dans le Guadalquivir près de Séville, plus grand fleuve espagnol, collectés entre 2014 et 2021. Soit un total de 417 échantillons.

Source : The dark side of artificial greening: Plastic turfs as idespread pollutants of aquatic environments, Environmental Pollution, Volume 334, 2023,122094

Les échantillons récoltés ont été analysés. Les fibres issues du gazon synthétique ont été séparées des autres déchets plastiques. Pour ce faire, il a fallu les identifier en utilisant leurs dimensions, leur couleur et leur morphologie. Les fibres identifiées ont ensuite été séchées puis photographiées. Les images ont été traitée par logiciel afin d’obtenir le comptage des fibres et les mesures de surface (mm²).

Leurs analyses ont exclu les microplastiques et se sont concentrées sur des morceaux de plus de 5 millimètres. Au final, 15 % des morceaux de plastique de plus de 5 mm récoltés au large de Barcelone étaient des fibres de gazon synthétique. Selon le New Scientist, la concentration de fibres synthétiques dans la mer atteint même 213 200 fibres par kilomètre carré à certains endroits !

La concentration était toutefois nettement plus faible dans le Guadalquivir (50 fois inférieure). Mais comme le précise Liam de Haan au New Scientist, le fleuve se déverse dans l’océan tandis que les fibres peuvent s’accumuler dans la mer. Séville est aussi une plus petite ville que Barcelone, ce qui peut expliquer en partie la différence.

« Je pense qu’il est peu plausible que cela se produise uniquement en Espagne. Puisque nous ne savons pas dans quelle mesure le gazon artificiel se décompose en microplastiques et nanoplastiques, ni dans quelle mesure cela contribue à la pollution plastique des plans d’eau, le problème pourrait être encore plus grave », s’inquiète le chercheur.

Différentes fibres synthétiques retrouvées à la surface de la mer. Source : Université de Barcelone.

 

Résultats et conclusion

Les résultats de l’étude ont montré une très forte présence de fibres de gazon artificiel dans les environnements marins et fluviaux. Leur concentration peuvent représenter une part importante (plus de 15%) des débris plastiques (tailles méso- et macro plastiques, soit > 5 mm) retrouvés dans les milieux aquatiques, surtout à la surface de la mer.

La fuite des fibres dans l’environnement manque de données

Comment autant de fibres issues des terrains artificiels peuvent-elles se retrouver dans les milieux aquatiques ? Il est dans un premier temps important de s’attarder sur la source de cette pollution : les terrains synthétiques eux-mêmes. Plusieurs travaux ont estimé la perte annuelle de fibres des terrains synthétiques à 5 à 10 % (Lassen et al., 2015), 10 % (Sundt et al.,2016) et 0,5 à 0,8 % (Hann et al., 2018). Selon une étude commandée par l’Agence suédoise de protection de l’environnement en 2021, 16 % des fibres de gazon artificiel quittant un terrain peuvent se retrouver dans les systèmes de drainage des eaux pluviales (Olshammar et al., 2015). Soit par la pluie ou les inondations, comme déjà évoqué, soit en adhérant aux chaussures des joueurs puis en pénétrant les réseaux d’égouts.

Cette étude est l’une des rares qui aborde la problématique de la pollution des milieux aquatiques causée par les fibres des terrains synthétiques. Leurs auteurs précisent que « des informations limitées sont disponibles concernant la quantité totale, le type et l’état des surfaces AT (Artificial Turf) installées dans le monde et les taux de libération des fibres AT dans les environnements naturels ». Peut-être que cette étude en appellera d’autres en Europe et dans le monde pour fournir des chiffres plus représentatifs de l’impact des fibres synthétiques. Dans d’autres études sur la pollution plastique, ces fibres, les fibres AT ont possiblement été classées à tort comme des éléments liés à la pêche ou des restes de plantes naturelles car esthétiquement similaires. « Il existe un manque de connaissance sur la présence et la nature de ce type de pollution dans l’environnement qui n’est pas pris en compte par exemple dans la liste principale fournie par le sous-groupe technique MSFD sur les déchets marin (Galgani et al.,2013) ou d’autres documents pertinents, catégorisations utilisées pour le suivi de la pollution plastique (Hartmann et al.,2019 ; Michida et al., 2019) », ajoutent les auteurs.

Les terrains synthétiques font l’objet des plusieurs études. Si dans un premier temps, l’aspect sécurité et santé des joueurs était pointé du doigt, ce sont désormais des préoccupations plus environnementales qui animent le débat : ilot de chaleur, augmentation du ruissellement urbain, recyclage, lessivage de produits chimiques, contribution au changement climatique… L’impact de ces surfaces de jeu sur les écosystèmes a d’abord été traité par le prisme des matériaux de remplissage. Dans ce cadre, la loi REACH tend à interdire tout type de remplissage SBR d’ici 2031. Mais le problème relatif aux fibres synthétiques et leur éparpillement dans les cours d’eau traitée dans cette étude pourrait devenir la nouvelle préoccupation principale concernant les surfaces de jeu artificielles.

Corentin RICHARD

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