Entre sécheresse et restrictions, comment les greenkeepers s’adaptent et envisagent l’avenir

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Touchés par une sécheresse sans précédent en France, les golfs français vivent un été particulièrement difficile. Dans ce contexte exceptionnel, GSPH24 a interrogé trois greenkeepers français sur la gestion de la crise et leur vision de l’avenir. 

Entre des conditions climatiques sans précédent et les restrictions de l’usage de l’eau qui en découlent, l’été 2022 est très compliqué pour les golfs français. Les greenkeepers doivent jongler entre les consignes préfectorales, les attentes des joueurs, la pression de leurs concitoyens et la survie de leurs greens.

L’état des lieux

A ce jour, 93 départements sont concernés par une restriction au-delà de la simple « vigilance » et 76 départements sont classés « en crise », le niveau d’alerte maximal.

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Voici les contraintes imposées aux golfs en fonction du niveau d’alerte d’après le guide sécheresse :

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« Pas tous logés à la même enseigne »

Si dans certains départements en crise une dérogation peut être accordée pour arroser les greens entre 20 h et 8 h, ce n’est pas le cas de tous. Parmi les départements classés en crise sécheresse et dans lesquels l’arrosage des greens est interdit figure l’Ille-et-Vilaine. Cédric Le Véziel, intendant du golf de Dinard, explique qu’il y a eu deux étapes : « une première en alerte renforcée où on a arrêté d’arroser les fairways mais pas les greens et les départs. Puis en crise, l’arrosage des départs a été arrêté. Nous avions fait une demande de dérogation pour les greens mais elle n’a pas été acceptée. Il faut faire sans, nous essayons juste de maintenir les greens en vie. Nous avons une mini réserve qui permet de maintenir en vie quelques zones ». La situation était d’autant plus problématique pour le Golf du Dinard qui devait accueillir le Grand Prix de Bretagne du 11 au 15 août. Sans dérogation, l’équipe d’entretien a tout mis en œuvre pour maintenir la qualité de la roule. « Nous avons maintenu la hauteur de tonte à 4mm (habituellement plus basse pour les compétitions), limité les tontes et favorisé le lissage des greens afin de maintenir une qualité de roule acceptable. La qualité de roule est primordiale, je ne parle pas de la vitesse de la roule qui, elle, est secondaire. Nous avons aussi renforcé le plus possible le gazon à l’aide de différentes pulvérisations (fertilisation, biostimulants). Après la compétition, les greens ont été laissés au repos pendant deux jours. Puis la hauteur de tonte a été remontée à 5 mm », précise l’intendant. La pluie était fortement attendue à Dinard. Les quelques précipitations des 16 et 17 août ont offert une semaine de sursis au golf. Mais si la pluie ne retombe pas, la fermeture des greens sera envisagée et la mise en place de greens d’hiver en bout de fairway ou sur les avant-greens pourraient maintenir le golf ouvert.

Moins impacté par la sécheresse que son homologue, Christophe Geoffroy, intendant du Golf du Kempferhof en Alsace, rappelle que les difficultés éprouvées par les golfs varient selon les zones géographiques, et ce au sein même des départements. « Nous avons la chance d’être dans une région où il y a encore de l’eau. Comparés à d’autres, nous nous en sortons plutôt bien », confie-t-il. Située à 15 minutes de Strasbourg, la zone dans laquelle se trouve le golf est classé en alerte. Elle a aussi pu profiter des 40 mm de pluie tombée la semaine dernière. « Je n’arrose plus depuis et je n’arroserai pas tant que ça ne sèchera pas », affirme-t-il. L’intendant peut en outre compter sur un système d’arrosage performant puisqu’il a été refait en 2017.

Au golf de Bordeaux-Cameyrac, la pluie ne résout pas tout comme l’explique le greenkeeper Nathan Betfert. La faute à un hiver particulièrement sec. « Cet hiver il a peu plu. Il me semble qu’on a eu seulement 235 mm d’eau dans l’hiver, ce qui n’a pas rempli assez les nappes, les cours d’eau et les étangs. C’est problématique. L’année dernière nous avions eu de la pluie régulièrement ce qui nous avait permis d’arroser sans restriction. Le souci qu’on a aujourd’hui c’est que les pluies ne sont pas nourrissantes pour les terrains : il pleut tellement fort d’un coup que l’eau ne pénètre pas le sol », regrette-t-il. Classé en crise depuis le 14 août, les restrictions n’ont toutefois pas énormément perturbé l’entretien de son golf. Ses fairways ne sont pas arrosés en temps normal, et ses greens étaient déjà arrosés la nuit. « En revanche, j’ai dû arrêter l’arrosage des départs et des avants-green. De 380 m3 par nuit je suis passé à 221 m3 lorsque j’arrosais les départs, les avant-greens et les greens. Aujourd’hui je suis entre 120 et 150 m3 seulement pour les greens », précise-t-il. A l’instar du golf alsacien, le système d’arrosage de Cameyrac a fait l’objet d’une grande réfection en 2021. Comme dans la majorité des golfs, l’eau utilisée est non-potable : elle est puisée d’abord dans un bassin de rétention puis dans les nappes phréatiques. En outre, la quantité d’eau puisée dans le forage est suivie précisément à l’aide d’une sonde.

Nécessité de communiquer auprès de la population et des clients

Si ses pratiques n’ont pas été impactées par la situation actuelle, Nathan Betfert estime tout de même primordial de communiquer et d’expliquer pourquoi les golfs peuvent encore être arrosés à la population. « Je vais organiser des réunions avec les clients, avec la résidence qui nous entoure aussi, afin de communiquer sur la gestion de l’eau pour qu’on ne soit pas pointé du doigt. Je veux surtout expliquer pourquoi on arrose encore, de quelle manière, pour que les gens sachent ce qu’on fait vraiment et qu’il n’y ait pas de faux chiffres », ajoute-t-il. Idem du côté de Strasbourg, où une manifestation satirique contre l’arrosage des golfs a fait l’actualité le 17 août. « Nous sommes amenés à plus communiquer. J’échange beaucoup avec mes membres. Il faut faire changer les mentalités », souligne Christophe Geoffroy.

Tous deux reconnaissent qu’il y a un manque d’information, surtout concernant le cycle de l’eau et l’importance de l’arrosage pour les golfs. « Ce qu’il faut que les gens sachent c’est que lorsqu’on arrose les greens, l’eau traverse le sol et une partie retourne dans les nappes phréatiques. Les gens ne le comprennent pas parce qu’ils ne sont pas informés. Si nous n’arrosons pas les greens c’est une perte financière colossale, c’est énormément de travail à rattraper (il faut presque un an pour tout refaire), on essaie de garder une vie microbienne dans le sol », explique Nathan Betfert.

Au vu de la situation climatique, les étés de sécheresse devraient se répéter. Il est donc primordial pour les greenkeepers d’envisager l’avenir sous un nouvel œil afin de ne pas connaître des périodes estivales catastrophiques. Ce sont dans un premier temps les attentes des joueurs et des clients qui devront être revues à la baisse. « Je pense qu’il va surtout falloir que les gens s’habituent à jouer sur des parcours très secs. Peut-être qu’à certaines périodes de l’années ils devront revoir leurs exigences. Il faut que les gens comprennent qu’avoir des greens parfaits 365 jours dans l’année ce n’est pas possible », affirme Cédric Le Véziel. De leurs côtés, les greenkeepers tentent déjà de trouver des solutions, comme l’implantation de graminées en C4 plus résistantes à la chaleur et à la sécheresse. Mais le processus est long et plus difficile à mettre en place dans le Nord. « Au moment opportun il faudra peut-être changer la flore en mettant une graminée plus résistante. Dans le Sud ils ont déjà commencé. Mais implanter des graminées comme le cynodon à Strasbourg c’est plus compliqué, surtout à cause de l’hiver », explique l’intendant du golf du Kempferhof.

Les eaux recyclées, une solution d’avenir

Parmi les solutions évoquées, le gazon synthétique ne convainc aucun des trois greenkeepers. « Je ne suis pas adepte du synthétique. C’est très bien pour certaines structures et certaines conditions », lance Cédric Le Veziel. Même son de cloche du côté de Cameyrac : « Personnellement je ne suis pas pour. Mettre du plastique dans son sol tuerait la vie microbienne. Nous, nous essayons d’avoir un écosystème intéressant dans le sol », justifie Nathan Betfert. De son côté, Christophe Geoffroy ne se voit pas continuer dans le métier si tout venait à basculer en synthétique.

Les intendants croient en revanche davantage au « Reuse » ou « Réut » en français (réutilisation des eaux usées traitées) comme une solution viable à l’avenir. Le golf de Dinard est d’ailleurs raccordé au réseau d’une station d’épuration à proximité et a demandé une dérogation pour pouvoir utiliser l’eau. « Nous avons la chance d’en avoir une à proximité à laquelle nous sommes raccordés, nous allons tout miser là-dessus pour pouvoir nous en servir. Nous ne sommes pas dans la possibilité de faire des bassins de rétention ou des choses semblables. Le « Reuse » est selon nous une solution à approfondir assez vite », assure le greenkeeper. Plusieurs golfs pratiquent le « Reuse » depuis quelques années. C’est par exemple le cas du golf du Petit Chêne à Mazières-en-Gâtine. « Ils récupèrent des eaux usées depuis sa construction. Pour moi c’est l’avenir. Des entreprises comme les laiteries ou les marbreries utilisent énormément d’eau et ne savent pas quoi en faire. Le but pour nous serait de récupérer ces eaux, qu’elles soient traitées et redistribuées dans des lacs », indique Nathan Betfert. Ce dernier ne néglige pas l’importance de curer les étangs, pratique « laissée à l’abandon » qui consiste à extraire les sédiments accumulés dans l’eau pour limiter les engorgements.

Quoi qu’il en soit, les greenkeepers devront trouver des solutions car les étés seront de plus en plus chauds et de plus en plus souvent.

Corentin RICHARD

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